Ceci est une version archivée de
Fevrier2016 à 2016-11-08 20:51:04.
Découverte de Tibicina steveni (Krynicki, 1837) et de Dimissalna dimissa (Hagen, 1856) en Languedoc – Roussillon (Hemiptera Cicadidae)
Jérémie FEVRIER, 3 impasse des Mouchères, f-34160 Sussargues
jefevrierArobazgmailPointcom
Résumé
Dimissalna dimissa (Hagen, 1856) et
Tibicina steveni (Krynicki, 1837), deux espèces de Cigales considérées comme très rares en France et inconnues de la région Languedoc-Roussillon, ont été découvertes début août 2013 sur les communes de Sainte-Cécile-d’Andorge et de La Grand-Combe dans le département du Gard. Des éléments de comparaison relatifs aux biotopes et à la phénologie de ces espèces sur le site et ailleurs en France sont exposés. La richesse spécifique en cigales observées
in situ est discutée ainsi que l’exceptionnelle sympatrie de
T. steveni avec
T. quadrisignata (Hagen, 1855).
Summary
Dimissalna dimissa (Hagen, 1856) and
Tibicina steveni (Krynicki, 1837), two species of cicadas considered as very rare in France and unknown to the Languedoc-Roussillon region were observed in 2013 in the localities of Sainte-Cécile-d’Andorge and La Grand-Combe in the department of Gard. Elements related to their habitat and phenology are compared with data from others sites in France. Cicadas specific richness in the studied site as well as the remarkable sympatry of
T. steveni with
T. quadrisignata (Hagen, 1855) are discussed.
Keywords
Cicadidae, Tibicina steveni, Dimissalna dimissa, Sympatry, Languedoc-Roussillon, France
Introduction
Des inventaires entomologiques furent menés, dans un cadre professionnel et en compagnie de Stéphane Berthelot, dans le Nord du département du Gard au milieu de l’été 2013. C’est à cette occasion que furent découvertes
deux espèces de Cigales considérées comme très rares en France, et inconnues de la région Languedoc-Roussillon. La Cigalette farouche,
Dimissalna dimissa (Hagen, 1856), fut détectée et identifiée au chant, puis observée à plusieurs
reprises. La seconde espèce, la Cigale de Steven,
Tibicina steveni (Krynicki, 1837), fut également repérée à partir des émissions sonores, puis identifiée après capture. Un deuxième passage en été 2013 en compagnie de Stéphane Puissant,
cicadologue français à l’origine de la découverte des deux espèces en France
Sueur et al., 2003;
Puissant & Sueur, 2011
, permit de confirmer leur présence sur le site.
Tibicina steveni (Krynicki, 1837)
Nom vernaculaire
la Cigale de Steven
Puissant, 2006
;
Deroussen et al., 2014
.
Description et répartition
Tibicina steveni fait partie de la famille des
Cicadidae Latreille, 1802 et de la sous-famille des
Tibicininae Distant, 1905. C’est une des plus grosses espèces françaises du genre
TibicinaKolenati, 1857 (au nombre de sept, dont une représentée par deux sous-espèces), avec une longueur d’environ 28 mm. Ressemblant à d’autres espèces du genre, et notamment à
T. haematodes (Scopoli, 1763) avec laquelle elle fut longtemps confondue, elle s’en distingue notamment par l’aire externe du prothorax orangé clair et large, et par une ornementation orangeâtre relativement caractéristique du scutum (Figure 1). En outre, la forme des genitalia est spécifique, tout particulièrement
au niveau de l’apex arrondi de l’édéage et de la longueur de l’apex endosomal (Figure 2). Enfin, la cymbalisation d’appel est différente entre les espèces mais elle nécessite un bon enregistrement et une analyse fine par logiciel
acoustique (nombre de groupes de pulsations par seconde rapportés à la fréquence dominante
Sueur & Aubin, 2003).
La Cigale de Steven était considérée comme une espèce d’Europe de l’Est (elle est parfois appelée Cigale orientale). Elle était, en effet, connue jusqu’à peu uniquement de Turquie, de Crimée (Ukraine), du Caucase (Arménie, Azerbaïdjan et Géorgie) et de Macédoine
Sueur et al., 2003. Elle est également citée plus récemment de Bulgarie
Gogala et al., 2005
. Sa présence en Europe de l’Ouest n’est avérée que depuis peu : 2002 pour la France et 2003 pour la Suisse
Sueur et al., 2003, et plus récemment encore pour l’Italie [[Hertach2013 Hertach
& Nagel, 2013]]. En France, T. steveni est considérée comme une espèce relictuelle. Jusqu’en 2013, T. steveni n’était connue que d’une unique station localisée dans le Tarn (Castelnau-de-Montmiral, 81064) à environ 180 km à l’ouest de Sainte-Cécile-d’Andorge. Depuis sa découverte dans le Gard, sa présence a été avérée dans d’autres stations
du Nord de ce département
Bernier et al., en ligne ; [S. Berthelot, comm. pers.], ainsi
que dans l’Aveyron, commune de Connac (12075) à Lavabre
Deroussen et al., 2014
.
Elle a également été décelée en 2015 dans le département de l’Hérault par David Sannier (comm. pers.) sur la commune de Riols (34229, col de Tanarès).
(Carte 1) Localisation et description du site Le site où fut découverte
T. steveni en 2013 est localisé sur les communes de Sainte-Cécile-d’Andorge (30239) et de La Grand-Combe (30132), dans le Nord du Gard (à quelques kilomètres de la Lozère). Les stations mises en évidence sont situées à une altitude variant entre 570 et 600 m, dans l’étage subaxérique tempéré (ou subméditerranéen tempéré), sx 3 selon Defaut [2001], et sur substrat siliceux. Il s’agit d’un ancien site minier industriel, majoritairement replanté d’Aulne de Corse,
Alnus cordata (Loisel.) Duby, et de Pin maritime, Pinus pinaster Aiton. La plupart des individus ont été contactés dans des secteurs de matorral arborescent dominé par ces deux essences (Corine Biotopes 32.141 × 83.325). La hauteur
moyenne des arbres était alors d’environ 5 m. Certains individus ont également été détectés dans des milieux boisés plus matures (Corine Biotopes 42.82 ; hauteur des arbres d’environ 10 m) dominés par le Pin maritime, en mélange
avec quelques Bouleaux verruqueux et Chênes pubescents. Ces milieux arborés sont présents sur le site en mosaïque avec des biotopes plus ouverts de friches et matorrals (Corine Biotopes 87.1 × 32.141). Une autre station de
T. steveni a été découverte en 2015 sur la commune de La Grand-Combe par Stéphane Berthelot (comm.
pers.). Cette station géographiquement proche correspond aux mêmes biotopes (plantations de Pin maritime et d’Aulne de Corse), mais à une altitude inférieure (350 m).
Figure 1. – Imago de Tibicina steveni capturé à Sainte-Cécile-d’Andorge (Gard) en août 2013 (cliché Jérémie Fevrier).
Figure 2. – Genitalia d’un imago collecté sur la station de Sainte-Cécile-d’Andorge en juillet 2015 (cliché Jérémie Fevrier).
Pour comparaison, la station tarnaise de Castelnau-de-Montmirail est située à une altitude inférieure (290 m), au sein de boisements de Chênes pubescents (Quercion pubescenti-petraeae). L’observation récente de l’espèce dans l’Hérault (David Sannier, comm. pers.) concerne un boisement de Chêne vert
sur terrain siliceux. La station est située sur un versant exposé plein sud et à une altitude d’environ 510 m. Il serait important de vérifier si, à l’instar des stations du Tarn et du Gard, elle s’inscrit également dans l’étage subaxérique
tempéré (sx 3) ou s’il s’agit plutôt de l’étage xérique subhumide tempéré (sh 3). En Suisse, l’espèce est connue entre 500 et 1 300 m d’altitude, au sein de l’étage subaxérique tempéré (sx 3) où elle transgresse dans l’étage subaxérique frais (sx 4). Elle est citée, dans ce pays, au sein de boisements à Chêne pubescent (Quercion pubescenti-petraeae), mais également au sein de pinèdes (Ononido-Pinion) et de vignobles en terrasses exposées au sud. La Cigale de Steven est donc observée dans une large gamme d’habitats (chênaie pubescente, chênaie verte, pinède, vignoble), mais sa distribution semble principalement associée à l’étage subaxérique tempéré (sx 3).
Phénologie et comportement
T. steveni fut découverte sur la station de Sainte-Cécile-d’Andorge le 5-VIII-2013, puis de nouveau contactée le 11-VII-2013 en compagnie de Stéphane Puissant. Ce dernier put procéder à l’enregistrement de plusieurs mâles le 15-VII-2014. Ces dates sont étonnamment tardives si on se réfère à la phénologie connue de l’espèce. Les observations réalisées dans le Tarn s’échelonnent en effet de la fin juin à début juillet [Puissant, 2006] et les dates extrêmes concernant la Suisse sont le 20 mai et le 25 juillet. Cela est d’autant plus surprenant que plusieurs individus chanteurs ont été observés, certains à faible hauteur, au début du mois d’août. Le 11-VII-2013, seuls quelques individus ont néanmoins été détectés. En 2015, l’espèce a été trouvée de façon abondante sur le même site au début du mois de juillet (7-VII-2015) alors qu’elle en avait disparue le 5 août (S. Puissant, comm. pers.). Cette même année, plusieurs observations ont également été réalisées dans le Nord du Gard à la mi-juin (C. Bernier et S. Berthelot, comm. pers.). Enfin, son observation dans l’Hérault par David Sannier a été réalisée le 30-VI-2015. La période d’apparition de l’espèce sur le territoire national est donc beaucoup plus étalée que ce que l’on pensait jusqu’à présent (fin juin à première quinzaine de juillet [Puissant, 2006]). Elle s’observe en effet, dans le Nord du Gard, entre la deuxième quinzaine de juin et la première quinzaine d’août, avec un pic d’abondance probablement situé à la deuxième quinzaine de juin. Au regard des observations précoces de l’espèce en Suisse, l’espèce pourrait même être recherchée en France dès la fin du mois de mai. Suite à sa découverte en 2013, T. steveni a été à nouveau contactée sur le site de Sainte-Cécile-d’Andorge les étés 2014 et 2015 (31-VII-2014 et 7-VII-2015). Des mâles ont été capturés en 2013 et en 2015. La plupart des mâles chanteurs détectés étaient postés à la cime de Pins maritimes et d’Aulnes de Corse, entre 4 et 8 m de hauteur en moyenne. Les mâles chantant à faible hauteur (1 à 2 m) n’étaient cependant pas rares, surtout au début du mois de juillet, parfois de manière éloignée des grands arbres les plus proches (> 50 m). Sur ce site à l’étude, les classes de végétation fréquentées par l’espèce sont donc la lande haute fermée (recouvrement des ligneux > 60 % ; hauteur entre 0,5 et 2 m) et le bois (recouvrement des ligneux > 40 % ; hauteur > 2 m), ce qui correspond respectivement aux classes 7 et 8 notées par Puissant [2006]. T. steveni semble éviter les milieux arborés denses et a systématiquement été observée ou entendue, en contexte boisé, en lisière forestière avec une lande ou une pelouse.
Carte 1. – Répartition actuellement connue en France de Tibicina steveni (chorologie départementale) et localisation des stations citées dans le texte.
La capture de l’espèce était dans tous les
cas assez aléatoire, les individus s’arrêtant
généralement de cymbaliser à leur approche
et s’éloignant vers d’autres cimes à la
moindre alerte. L’espèce ne semble pas très
exigeante quant aux essences choisies pour la
cymbalisation. Les mâles cymbalisants sont
le plus souvent observés sur des branches de
quelques centimètres mais parfois sur le tronc
même de l’arbre.
Dimissalna dimissa
Nom vernaculaire : la Cigalette farouche
Deroussen
et al.
, 2014].
Description et répartition
La Cigalette farouche appartient à la famille
des Cicadidae Latreille, 1802, sous-famille
des Cicadettinae Buckton, 1889. Récemment
séparée du genre
Tettigetta
fut placée dans le genre nouveau
Dimissalna
décrit par
Boulard
- [2007] dont elle est l’espèce
type. Ce genre, actuellement monospécifique,
se caractérise notamment par la forme des
pièces génitales, différentes de celles des
genres
Tettigetta
Tettigettalna
2010.
D. dimissa
fait partie des petites Cigales
de notre faune, avec un corps d’environ 20
mm. Elle présente une coloration très sombre
sur l’abdomen, la tête et le thorax. Le scutum
est souvent marqué de deux taches orangées
(Figure 3)
. Sa détection
in situ
étant donné les fréquences élevées et peu
audibles de la cymbalisation. Ceci explique
pourquoi la Cigalette farouche est restée si
longtemps inaperçue. La cymbalisation, assez
proche de celle de
Cicadetta brevipennis
Fieber
1876, est toutefois caractéristique.
La Cigalette farouche est présente dans de
nombreux pays d’Europe centrale (Hongrie,
Roumanie, Slovénie) et des Balkans (Albanie,
Bulgarie, Croatie, Grèce, Macédoine,
Monténégro et probablement Serbie). Elle est
également présente en Italie. Sa découverte
en France est toute récente : elle a été mise en
évidence en 2010, simultanément en Ardèche
[
Puissant
&
Sueur
, 2011] et dans le Var
[
Gurcel
, 2011]. Un des individus identifiés en
Ardèche, une femelle, provient de la collection
d’Henri-Pierre Aberlenc et correspond à une
capture effectuée dans le bois de Païolive le
18-
vi
-1985 [
Puissant
&
Sueur
, 2010]. Des
investigations personnelles ont permis de
découvrir l’espèce dans le Gard en 2011, sur
la commune de Salindres (30305, au nord du
site industriel). La Cigalette farouche a été
revue en 2015 dans le même secteur (Rousson,
30223, bassin de décantation de Ségoussac)
par Gaël Delpon et David Sannier (comm.
pers.). L’espèce a ensuite été découverte sur
les communes de La Grand-Combe (30132)
et Sainte-Cécile-d’Andorge (30239) en 2013
de façon concomitante à
Tibicina steveni
.
Enfin, nous avons pu l’observer en 2015 sur
la commune des Salles-du-Gardon (30307, La
Crouzette).
Localisation et description des stations identifiées
En plus de la station précédemment décrite
sur La Grand-Combe / Sainte-Cécile-d’Andorge
(ancien site minier replanté d’Aulnes de Corse
et de Pins maritimes), nous avons donc observé
la Cigalette farouche au sein de deux autres sites
du Gard.
Celui de Salindres correspond à une frênaie
(
Fraxinus angustifolia
Vahl) au caractère humide
marqué. Situé en périphérie directe d’un petit
cours d’eau (affluent du Valat de l’Arias),
ce boisement semble en effet régulièrement
inondé. Il s’agit d’une frênaie assez jeune,
au sous-bois clair. L’observation de plusieurs
mâles en cymbalisation indique une probable
reproduction de l’espèce dans ce milieu.
Aux Salles-du-Gardon, troisième site où
nous l’avons découverte, l’espèce fréquentait
des boisements mésophiles
; plusieurs mâles ont
été détectés dans des feuillus présents le long
d’un petit cours d’eau (Valat de Fréguéirolle)
;
ce boisement plus diversifié est majoritairement
composé de Chêne pubescent. Les stations de
Salindres et des Salles-du-Gardon sont situées à
une altitude d’environ 160 m.
Pour comparaison, la population identifiée dans le Var par Gurcel [2011] est présente dans un boisement thermophile (Chêne vert, Chêne pubescent et nombreux résineux) à une altitude
moyenne de 280 m. Au sein du massif forestier
du bois de Païolive (Ardèche) où l’espèce a
également été découverte [
Puissant
&
Sueur,
2011 ;
Puissant
, 2012], les populations les plus
importantes ont été identifiées dans des secteurs
dominés par le Chêne pubescent. Au sein du
massif, la Cigalette farouche a été détectée entre
138 et 240 m d’altitude (avec les populations
les plus importantes à 215 – 220 m). Enfin, la
station identifiée à Rousson en 2015 par Gaël
Delpon et David Sannier correspond à des
garrigues boisées à Chêne vert, Arbousier et
Buis commun (habitat thermophile).
D. dimissa
- semble donc assez peu exigeante
en termes d’habitats (boisements caducifoliés
et résineux, boisements thermophiles et
boisements mésophiles voire hygrophiles). Elle
a jusqu’alors été observée entre 138 et 600 m
d’altitude en France.
Phénologie et comportement
D. dimissa
a été découverte à Sainte-Cécile-
d’Andorge à la même date que
Tibicina steveni
,
soit le 5-
viii
-2013, puis à nouveau contactée au
même endroit le 11-
viii
-2013. Comme pour la
première espèce, ces dates sont relativement
tardives par rapport à ce qui était connu
de la phénologie de l’espèce en France. La
Cigalette farouche a en effet été contactée en
Ardèche à la fin du mois de juin et au début
du mois de juillet [
Puissant
&
Sueur
, 2011].
Les observations de l’espèce en 2011 dans
le département du Var par
Gurcel
concerne le début et la fin du mois de juillet.
Plus récemment, nous avons observé cette
Cigale le 4-
vii
-2015 aux Salles-du-Gardon, peu
après l’observation de Gaël Delpon et David
Sannier sur la commune de Rousson (25-
vi
-
2015). Notre première observation de l’espèce
dans le Gard, au nord du site industriel de
Salindres est beaucoup plus précoce. Plusieurs
mâles chanteurs ont, en effet, été détectés le 23-
v
-2011.
Il semble donc que l’on puisse observer la
Cigalette farouche en France entre la fin du
mois de mai et la mi-août.
Lors des observations personnelles de l’espèce
dans le Nord du Gard entre 2013 et 2015, la
détection et l’identification des individus ont
été réalisées par écoute des cymbalisations.
Plusieurs mâles chanteurs ont pu être vus mais
aucun n’a pu être collecté, la capture de cette
Cigale s’avérant particulièrement délicate.
D. dimissa
est une Cigale de petite taille,
acrodendrique (qui affectionne la cime des
arbres) et plutôt farouche [
Puissant
, 2012]. La
très grande majorité des mâles détectés sur le
site de Sainte-Cécile-d’Andorge chantaient à la
cime d’Aulnes de Corse et de Pins maritimes
(ainsi que quelques Peupliers noirs), à une
hauteur moyenne estimée à 5 m. Quelquefois
observés en lisière, les chanteurs étaient surtout
postés au cœur du boisement, sur des branches
de faible diamètre. La Cigalette farouche
fréquente donc majoritairement, sur le site
étudié, la classe 8 de végétation définie par
Puissant
- [2006] : recouvrement des ligneux >
40 %
; hauteur > 2 m
Figure 3. – Imago de Dimissalna dimissa, Flassans-sur-Issole (Var), 3-VII-2013 (cliché Kevin Gurcel).
Carte 2. – Répartition actuellement connue en France de Dimissalna dimissa (chorologie départementale) et localisation des stations citées dans le texte
284
L’Entomologiste
, tome 72, n° 5
Peuplement de Cigales
du site de Sainte-Cécile-d’Andorge (Gard)
Outre la présence de
Tibicina steveni
et de
Dimissalna dimissa
, le peuplement de Cigales
du site de Sainte-Cécile-d’Andorge présente
deux autres points remarquables.
Le premier est la richesse spécifique en
Cicadidae hébergée par ce site. En effet, sur
moins de 100 ha, six espèces ont pu être
identifiées :
–
deux Cicadinae :
Cicada orni
(L., 1758),
Lyristes plebejus
(Scopoli, 1763),
–
deux Cicadettinae
Dimissalna dimissa
,
Tettigettalna argentata
Olivier, 1790,
–
deux Tibicininae
Tibicina quadrisignata
(Hagen, 1855),
Tibicina steveni.
Il s’agit ici d’une diversité élevée, surtout si
l’on considère le caractère anthropogène du site
(friches et plantations d’arbres exogènes sur un
ancien site minier).
Le second est l’observation simultanée
de deux espèces de
Tibicina
T. steveni
T. quadrisignata
. Les espèces de ce genre sont
en effet connues pour être soit allopatriques,
soit syntopiques mais dans ce dernier cas
allochroniques [
Puissant
&
Sueur
, 2002 ;
Puissant
, 2006].
À
- notre connaissance, le seul
cas de syntopie entre ces deux espèces a été
signalé en Suisse, à la station du val d’Hérens
[
Hertach & Nagel
, 2013].
À
d’Andorge, les deux espèces ont été capturées au
début du mois d’août 2013 et au début du mois
de juillet 2015. Bien qu’il y ait un net décalage
concernant les pics d’émergence (probablement
situés vers la fin juin pour
T. steveni
fin juillet pour
T. quadrisignata
), il existe ici un
chevauchement dans leur apparition. La durée
de cette période d’apparition simultanée devra
être précisée dans les prochaines années. De
même, il sera important de mieux caractériser
localement la répartition spatiale de ces deux
taxons pour savoir si nous sommes ici dans la
zone de contact entre les populations de ces
espèces, ou bien si ces dernières cohabitent plus
largement.
Discussion
Les Cigales sont, à l’instar d’une majorité
d’insectes, encore méconnues en France. De
nombreuses lacunes existent en ce qui concerne
l’écologie des vingt espèces actuellement
connues dans notre pays mais également en
ce qui concerne leur répartition géographique.
Certaines sont même passées inaperçues en
France jusqu’à récemment, comme cela a été le
cas pour
Dimissalna dimissa
Tibicina steveni
.
Plusieurs hypothèses pourraient expliquer la
rareté apparente de ces espèces dans notre pays :
populations relictuelles, récentes introductions,
faible engouement pour le groupe, difficultés de
détection ou d’identification, etc. Il est certain
que le nombre de naturalistes, exerçant leur
métier et/ou pratiquant leur passion dans le Sud
de la France et susceptibles de faire remonter des
observations de Cigales, a décuplé ces dernières
années. Grâce à la parution récente de travaux
sur l’écologie des Cigales [
Puissant
, 2006] et
sur leurs émissions sonores [
Deroussen
et al.,
2014 ;
Gogala
, en ligne] mais également à la
faveur du développement d’outils de sciences
participatives (site de l’ONEM, Observatoire
naturaliste des écosystèmes méditerranéens),
l’engouement des naturalistes pour le groupe
des Cigales paraît grandissant.
La découverte de
Tibicina steveni
Gard, puis dans l’Aveyron et l’Hérault, offre de
nouvelles perspectives. Il est fort à parier que
l’espèce sera trouvée à l’avenir dans d’autres
départements ou régions, notamment au sein de
l’étage subméditerranéen tempéré
sx 3
. Comme
le montre la
Carte 1
, l’espèce a été découverte à
quelques kilomètres des départements du Tarn-
et-Garonne, de l’Aude, de Lozère et de l’Ardèche.
Pareillement,
Dimissalna dimissa
, petite Cigale
des hauts de cimes à la cymbalisation peu
audible, était inconnue en France jusqu’à peu.
Il est fort probable qu’étant donné les faibles
exigences qui semblent être siennes en termes
de biotope, elle soit dans le futur, découverte
dans d’autres régions françaises.
Remerciements
. – Un remerciement tout particulier
est adressé à Stéphane Puissant, cicadologue et ami,
qui a confirmé l’identification et la présence des
deux espèces sur le site étudié, a apporté ses conseils
L’Entomologiste
, tome 72, n° 5
285
avisés et s’est rendu disponible pour la relecture
de la présente note. Je tiens également à remercier
Stéphane Jaulin et Agnès Horn pour leur relecture
de l’article, ainsi que Christophe Bernier, Stéphane
Berthelot et David Sannier pour leur partage de
connaissances et de données. Enfin, Kévin Gurcel
est remercié pour la mise à disposition du cliché de
Dimissalna dimissa
réalisé dans le Var.
Références bibliographiques
Bernier C., Gurcel K. & Delorme Q. (coord.), en ligne. – Enquête cigales. Site de l’ONEM Observatoire naturaliste des écosystèmes méditerranéens). Disponible sur internet : <
http://www.cigales.onem-france.org>
Boulard M., 2007. – Dimissalna, nouveau genre de Cicadette (Rhynchota, Cicadidae). Bulletin de la Société entomologique de France, 112 (1) : 97-98.
Defaut B., 1996. Un système d’étages phytoclimatiques pour le domaine paléarctique. Corrélations entre végétation et paramètres climatiques. Matériaux entomocénotiques, 1 : 5-46.
Defaut B., 2001. Carte de la végétation de la France. Matériaux entomocénotiques, 6 : 113-121.
Delorme Q., 2013
. Tibicina corsica (Rambur, 1840) ssp. fairmairei Boulard, 1984, Cigale rare et endémique du Sud de la France. Découverte de nouvelles stations et compléments d’écologie (Hemiptera Cicadidae). L’Entomologiste, 69 (6) : 345-349.
Deroussen F., Sueur J. & Puissant S., 2014
. Cigales de France. La sonothèque du Muséum. Saint-Maur-des-Fossés, Chiff-Chaff, livret 12 p. + CD 74'.
Gogala M., en ligne. Songs of European singing cicadas. Disponible sur internet : <
http://www.cicadasong.eu/>
Gogala M., Trilar T. & Krpac T., 2005
. Fauna of singing cicadas (Auchenorrhyncha: Cicadoidea) of Macedonia - a bioacoustic survey. Acta Entomologica Slovenica, 13 (2) : 103-126.
Gurcel K., 2011
. Dimissalna dimissa (Hagen, 1856), dernière espèce de Cigale découverte en France, observée dans le département du Var (Hemiptera Cicadidae). L’Entomologiste, 67 (2) : 105-108.
Hertach T. & Nagel P., 2013
. Cicadas in Switzerland : a scientific overview of the historic and current knowledge of a popular taxon (Hemiptera : Cicadidae). Revue Suisse de Zoologie, 120 (2) : 229-269.
Puissant S., 2006
. Contribution à la connaissance des Cigales de France : géonemie et écologie des populations (Hemiptera, Cicadidae). Bédeilhac et Aynat, ASCETE, 193 p.
Puissant S., 2012 Les Cigales du Bois de Païolive (Ardèche). Liste des espèces et données éco-éthologiques. Marseille, rapport WWF, 40 p. Disponible sur internet : <
http://www.cicadasong.eu/files/article-29.pdf>
Puissant
&
.
Sueur
Dimissalna
, a
cicada genus that remained unnoticed in France
(Insecta : Hemiptera : Cicadidae).
Annales de la
Société entomologique de France
, (n.s.),
47
519-523.
Sueur
&
Aubin
- T., 2003. – Specificity of cicada
calling songs in the genus
Tibicina
Cicadidae).
Systematic Entomology
,
28
Sueur
&
Puissant
ecological isolation in cicadas : First data from
Tibicina
- (Hemiptera : Cicadoidea) in France.
European Journal of Entomology.
,
99
Sueur
Puissant
&
Pillet
eastern mediterranean cicadata in the west : first
record of
Tibicina steveni
Switzerland and France [Hemiptera, Cicadidae,
Tibicininae].
Revue française d’Entomologie
, (n.s.),
25
Manuscrit reçu le 8 juin 2016, accepté le 12 août 2016.