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Enquête Diane, Proserpine, Aristoloches









Ceci est une version archivée de Descimon1991 à 2010-12-09 15:24:44.

Le choix des plantes nourricières chez quelques Papilionidae et Pieridae provençaux et méditerranéens (Lepidoptera : Papilionoidea)


RESUME


Les relations entre cinq espèces de Papilionidae (Papilio machaon, P. hospiton, P. alexanor, Zerynthia rumina, Z. polyxena) et trois espèces de Pieridae (Euchloe crameri, E. tagis, Anthocaris euphenoides) du sud-est de la France et leurs plantes nourricières sont décrites et analysées.

Le niveau de spécificité alimentaire va de la monophagie stricte à une sténophagie chimiquement sélective. Sous un angle coévolutif, il n'est pas possible de mettre en évidence des défenses spécifiques des plantes vis à vis de leurs phytophages. En revanche, des adaptations serrées sont discernables chez ceux-ci en particulier dans la phénologie. Les espèces à large distribution, peu spécifiques alimentairement, sont plurlvoltines, les monophages univoltines et localisées; des stratégies mixtes sont observées. La taille peut être ajustée à la quantité de nourriture disponible.

Le comportement de recherche et de ponte de la femelle doit correspondre le mieux possible aux exigences des stades larvaires, ce qui implique une coadaptation précise mais qui est souvent imparfaite dans la réalité. La dépendance entre le phytophage et son hôte est double: celui-ci fournit non seulement la nourriture mais les substances de défense et l'abri. Les espèces monophages (les Zerynthia exceptées) montrent une tendance nette à l'autorégulation de leur densité, alors que les sténophages sont plus limités par prédation, parasitisme et infections. La compétition interspécifique est révélée chez certaines espèces par une partition des niches en sympatrie. Dans d'autres cas, un mimétisme vraisemblablement mullérien est observé chez des chenilles d'espèces vivant sur les mêmes plantes.

MOTS-CLES : coévolution, compétition, mimétisme, phénologie, phytophagie

SUMMARY


The relations hetween 5 species of Papilionidae (Papilio machaon, P. hospiton, P. alexanor, Zerynthia rumina, Z. polyxena) and 3 species of Pieridae (Anthocaris euphenoides, Euchloe crameri, E. tagis) from southeastern France and their foodplants are described and analysed. The level of alimentary specificity ranges from strict monophagy to chemically selective stenophagy. Under a coevolutionary perspective, it is not possible to bring to light specific defences ofthe plants against their phytophagous
enemies. On the contrary, close adaptations are evident in the latter, particularly with respect to phenology. Species with a wide geographical range display a low foodplant specifity and are multi-brooded, while local species are monophagous or nearly so and single-brooded; mixed strategies may he observed. Egg-Iaying and foodplant research female hehaviour must he adjusted as weIl as possible to the exigences of larval stages. However, the precise coadaptations which are implied in this process are often imperfecL The dependence of the phytophagous insect towards its host is two-sided : the host provides not only food but defence
compounds and shelter. There is sometimes an adjustment hetween size and the amount of food available. Monophagous species (except Zerynthia) di~lay a marked tendency to self-regulation of their density, while those with a broader spectrum appear rather more hmited by predation, parasitism and diseases. Interspecific competition is revealed in certain species by a «character displacement» phenomenon which insures niche partition in the regions where the competing species live together. In other cases, mullerian mimicry is observed in caterpillars of species using the same foodplant.

KEY WORDS : coevolution, competition, foodplants, mimicry, phenology

INTRODUCTION


Depuis l'aube de l'Entomologie, l'inféodation des papillons à des plantes nourricières précises est bien connue. Elément descriptif
comme d'autres, ce critère a pu servir à définir des espèces, par exemple dans le genre Colias (BERGER et FONTAINE, 1947-1948) et Boloria (CROSSON DU CORMIER et GUERIN, 1947). Mais c'est à partir des études évolutives d'EHRUCH
et RAVEN (1964) que de très nombreux travaux ont vu le jour, en particulier sur les Heliconius (BENSON et al., 1976), les Papilio (SCRIBER, 1988) et les Euphydras (SINGER, 1971, 1983; RAUSHER, 1982; MAZEL, 1986). Les facettes du problème sont multiples : moyens de défense des plantes et mécanismes adaptatifs développés par les Lépidoptères pour
les vaincre et éventuellement les utiliser à leur profit; aspects divers de la compétition interspécifique entre les phytophages, bien entendu, mais aussi entre les plantes; coadaptations internes, en particulier entre le stade qui choisit la plante nourricière et celui qui l'utilise; retentissement du choix de la plante nourricière sur la structure des populations, dans l'espace ("races
écologiques") et le temps. Tous ces problèmes sont liés au concept central de coévolution, introduit en 1964 par EHRLICH et RAVEN. Il en découle des questions auxquelles j'essaierai ici d'apporter, dans un cadre taxonomique et géographique restreint, des éléments de réponse : peut-on mettre en évidence des modifications adaptatives clairement induites chez les plantes par l'action de leurs phytophages ? Peut-on réciproquement déceler l'influence des particularités écologiques, physiologiques et
biochimiques des plantes-hôtes sur les Lépidoptères qui leur sont liés ? Peut-on discerner des interactions coévolutives entre des Insectes partageant au moins partiellement des plantes nourricières ? Le présent article est avant tout une réflexion critique sur ces problèmes, combinant des données de la littérature et une partie des résultats d'une quarantaine d'années (1950-1991) d'observations de terrain et d'élevages, effectués sur des espèces de papillons diurnes du sud-est de la France.

MATERIELS ET METHODES


Les données originales présentées ici sont le résultat d'observations effectuées en Provence, dans les Alpes Maritimes, la Corse, le bassin de la Durance, le Languedoc, le Massif Central, les Pyrénées-Orientales et l'Espagne. Dans un premier temps, la période couverte était limitée à une partie des mois de mars et d'avril mais, depuis 1979, elle s'étend à toute l'année en Provence (spécialement dans le massif de la Sainte Baume). Toutes les espèces étudiées ont été élevées plusieurs fois et souvent en nombre considérable, soit à partir de femelles capturées dans la nature, soit à partir de larves découvertes à divers stades sur leurs plantes nourricières. La majorité des élevages a eu lieu dans les conditions ambiantes de la région marseillaise, mais la
détermination de la sensibilité photopériodique a été réalisée dans des étuves conditionnées. L'inhibition de la diapause a été effectuée grâce à une alternance de 16 heures de lumière (4 tubes néon «Blanc Brillant de Luxe» 40 à 70 cm au dessus des cages) à 25° Cetde 8 heures d'obscurité à 17" C. Pour son induction, une alternance de 8 heures de jour à 20° C et de 12 heures de nuit à 15° C a été utilisée.

RESULTATS


1. La spécificité chez les Papilionidae


La structure taxonomique de cette famille montre un parallélisme frappant avec le choix
des plantes nourricières : certaines lignées sont liées aux Aristolochiacées, d'autres aux Ombellifères et Rutacées, d'autres aux Fumariacées, par exemple, fait déjà noté par EHRLICH et RAVEN (1964). Nous nous limiterons aux deux premières.

1.1. Le genre Zerynthia Ochsenheimer

Ces papillons représentent en Europe le groupe inféodé aux Aristoloches. Ce sont des reliques tertiaires à distribution bipolaire: une espèce, Z. polyxena (SCHIFFERMULLER, 1775), est ponto-méditerranéenne, l'autre, Z. rumina (Linnaeus 1758), atlanto-méditerranéenne. Elles cohabitent largement en Provence. Dans les zones basses de notre région, une partition bien nette des niches écologiques est observable : Z. rumina s'inféode à Aristolochia pistolochia L. (Aristolochiacées), plante des garrigues (commune aussi dans l'Estérel), où ce papillon est assez abondant (spécialement après les incendies, qui provoquent la prolifération des plantes nourricières). Z. polyxena se cantonne à A. rotunda L., liée aux fonds de vallées, en particulier en présence de Cannes de Provence. Cette différence fait que les deux espèces ne cohabitent pas mais peuvent voisiner et très rarement s'hybrider (DESCIMON et MICHEL, 1989). Une situation différente et bien plus intéressante est observable dans le bassin moyen de la Durance, vers 1000-1200 m d'altitude (DROIT, 1951; MICHEL, observations non publiées) : les deux espèces occupent exactement le même habitat, une chênaie blanche rocailleuse et vivent toutes deux sur A. pistolochia. En plaine, les adultes de Z. polyxena ont une période de vol un peu plus précoce que ceux de Z. rumina, mais avec un recouvrement notable. Les populations d'altitude sont beaucoup plus décalées ; non seulement Z. polyxena vole plus tôt, mais ses chenilles ont presque fini leur croissance quand les femelles de Z. rumina pondent. Dans les régions où elles ne sont pas en sympatrie,
les deux Zerynthia sont plus généralistes ; on trouve des populations de Z. rumina dans des lieux humides au Maghreb et des Z. polyxena sur des pentes arides en Grèce. Elles utilisent la plupart des espèces d'Aristoloches disponibles. Ces observations seront l'objet d'une publication plus détaillée (DESCIMON et MICHEL, en préparation). On notera qu'il ne semble y avoir aucun contrôle de la quantité d'œufs pondus sur une plante par les femelles ; nous avons même relevé une fois presque 50 œufs de Z. polyxena sur une seule A. rotunda, à proximité d'autres plantes où aucun œuf n'était déposé, et ceci apparemment parce que la première était sur une trajectoire de passage. En captivité, les femelles sont capables de couvrir d'œufs une surface foliaire très limitée.

1.2. Le genre Papilio Linnaeus


Ces Lépidoptères sont en majorité inféodés aux Ombellifères, aux Rutacées et, pour quelques populations d'Asie centrale et des Etats-Unis, à des Armoises ; il n'y a pas de parenté rapprochée entre ces trois taxa végétaux, mais une parenté chimique, par les huiles essentielles, on n'oubliera pas à Marseille la similitude entre absinthe et pastis. Trois espèces sont présentes en France du Sud-Est.

a) P. machaon Linnaeus 1758 est l'élément ubiquiste, à populations ouvertes (WIKLUND, 1975) en plein optimum de son aire. En Angleterre, il est strictement inféodé à Peucedanum palustre Moench (Apiacées) et localisé à quelques marécages. De la même manière, en Suède, il utilise préférentiellement Peucedanum palustre et Angelica sylvestris L. (Apiacées) (WIKLUND,
1973 et 1974). Dans l'Europe moyenne, il est franchement polyphage, se nourrissant de plusieurs espèces d'Ombellifères, y compris Daucus carota L. - au point d'être parfois considéré comme nuisible - et de Rutacées herbacées : Ruta graveolens L. et Dictamnus albus L. (FRIONNET, 1906) ; nous avons parfois observé des chenilles sur la première de ces Rutacées à Paris,
dans le jardin de l'Ecole Normale Supérieure, ce qui en dit long sur les capacités de dispersion de l'espèce. En Provence, le papillon est polyphage, mais avec des préférences marquées : la plante nourricière régulière semble être Laserpitium gallicum L., grande Ombellifère des garrigues, mais Ruta angustifolia Pers. est également utilisée (NEL, 1988); à l'heure actuelle, l'envahissement des friches par Foeniculum vulgare L. (Apiacées) offre une biomasse importante au Machaon dans les zones rudéralisées, y compris à l'intérieur de Marseille ; les cultures de fenouil sont d'ailleurs parfois attaquées. Dans le Briançonnais,
le même Laserpitium est utilisé dans les régions basses, alors que c'est, entre autres (il y aurait une étude à faire), L. siler L. qui est consommé au Lautaret. Le comportement de ponte des femelles est nettement spécifique ; dans nos élevages, des
individus capturés dans les garrigues refusent de pondre sur une autre plante que Laserpitium gallicum, alors que d'autres venant de zones urbanisées pondent massivement sur le fenouil. La spécificité n'est pas toujours aussi accusée. Des observations incidentes faites lors de croisements effectués dans d'autres buts indiquent qu'un déterminisme génétique net existe pour ces préférences. La spécificité est bien plus basse pour les chenilles ; néonates, elles acceptent toutes sortes d'Ombellifères et de Rutacées - y compris des plantes exotiques comme Choisya ternata H. B. & K. (Rutacées) -, aussi bien en Suède (WIKLUND, 1973, 1981 et 1982) que dans la région parisienne et en Provence. Plus tard, en L3, elles préfèrent les plantes auxquelles elles
ont été habituées, voire refusent toute autre espèce. La valeur alimentaire de ces différentes plantes est loin d'être équivalente et une mortalité très variable affecte les lignées (WIKLUND, 1975). Il est néanmoins tout à fait exclu que des écotypes différents, liés à des plantes différentes, puissent coexister en Provence, tant est grande la vagilité des papillons. Cette éventualité est
également rejetée par WIKLUND (1975). Très répandue, l'espèce est peu dense, au point qu'il est difficile d'en collecter assez d'individus pour des électrophorèses. Ce n'est assurément pas la quantité de nourriture disponible qui est la cause primaire de cette rareté ; prédation, parasitisme, pathologie doivent jouer un rôle important. Les chenilles sont aposématiques et repoussent certains prédateurs (Oiseaux, Lézards,

Founnis) par les sécrétions de leur osmatérie,
mais non les Guêpes (Vespula germanica L.
Hymenoptera : Vespidae); en zone suburbaine,
celles-ci, attirées par l'odeur des chenilles, constituent
une gêne au cours des manipulations
d'élevage en plein air. Plusieurs dizaines de
larves placées sur du Fenouil dans notre jardin à
Marseille ont été toutes enlevées par ces Hyménoptères,
qui les tronçonnent avec leurs mandibules
avant de les transporter. J'ai bien souvent
vu une guêpe en maraude attaquer une chenille
dans une cage que je venais d'ouvrir pour en
changer la nourriture ; et elle revenait bientôt,
accompagnée de plusieurs congénères. Des
parasitoïdes du genre Pteromalus (Hymenoptera
: Pteromalidae) (probablement P. eminens
Forst.) sont vivement attirés par les prénymphes
mais le taux d'infestation demeure modéré. Les
chenilles récoltées dans la nature sont assez
souvent parasitées par des Hyménoptères de
grande taille (Dinotomus lapidator Fabr., Ichneumonidae)
- un par individu -, qui se développent
à la fin de la nymphose.
Toutes les souches élevées en Provence sont
plurivoltines ; l'induction de la diapause nécessite
une photopériode inférieure à 10 heures et
des températures très fraîches; en France atlantique,
il y a en général deux générations. Aux
altitudes élevées des Alpes, il existe une souche
univoltine, dont la sensibilité photo- et thermopériodique
est différente. D'après WIKLUND
(1973), la souche suédoise n'a elle aussi qu'une
seule génération; il en est de même en Angleterre
mais une deuxième génération partielle
peut être observée les années chaudes (HOWARlH,
1973). Des élevages parallèles ont montré
que ces différences sont génétiquementdéterminées.
b) P. hospiton Géné 1839 est un endémique
corso-sarde. Ses plantes nourricières ont été l'objet
de confusions répétées. Il est usuellement admis
que cette espèce se nourrit de Ferula communis
L. (Apiacées) (p. ex. HOFFMANN, 1893). Cette
plante est assez nettement anthropophile, proliférant
après les incendies et dans les places
rudérales et perturbées ; elle est répandue dans
toute la Corse. Il est vrai qu'elle constitue le seul
support pour P. hospiton sur une grande partie
du territoire de l'île (plaine et basse montagne)
sur sol cristallin. Mais, dans le nord de l'île et en
Sardaigne, sur terrain sédimentaire et métamorphique,
une autre Ombellifère, très abondante
par places, Peucedanum paniculatum Lois., est
la véritable plante nourricière, à laquelle sont
associées des densités souvent élevées du Lépidoptère
; connu depuis longtemps (FRIONNET,
1906) mais négligé, ce fait a été confirmé par
COULONDRE (1987) et FAUSSER (1989). En
haute montagne, P. hospiton est lié à une toute
autre plante: Ruta corsica De. (HOFFMANN.
1893 ; FRIONNET, 1906; COULONDRE, 1987).
Enfin, des observations plus ponctuelles ont été
effectuées sur des espèces du genre Pastinaca L.
(Apiacées) - l'espèce continentale P. sylvestrÜ
Mill. constitue une excellente plante nourricière
en captivité (Michel, comm. pers.) -; les femelles
pondent très volontiers sur Cachrys trifide.
Miller (Apiacées), plante présente mais rare en
Corse (DESCIMON, non publié). Le comportement
territorial de P. hospiton est extrêmement
typé (KETTLEWELL, 1955) : c'est un «hilltoppen>
comme on en rencontre rarement chez les
Papilio européens, à la différence des espèces
américaines (SHIELDS, 1967; GUPPY, 1969).
Cette particularité explique la réputation d'e~pèce
en perdition qui lui est faite (COLLINS et
MORRIS, 1985) : les entomologistes qui ne la
connaissent pas peuvent parcourir d'immenses
surfaces sans observer un papillon tout en côtoyant
de larges populations. Ce sont essentiellement
les mâles qui sont caractérisés par ce
comportement, les femelles sont extraordinairement
évasives et diluées, très difficiles à trouver
et, vues, à prendre, en déplacement permanent.
La répartition très dispersée des chenilles sur les
diverses plantes nourricières en témoigne. Il
existe là encore une variation comportementale
pour la ponte ; parmi les femelles élevées en
captivité issues d'une population liée àP.paniculatum,
certaines refusaient la Férule, d'autres,
plus rares, Pastinaca; toutes celles soumises à
l'épreuve étaient stimulées à pondre parCachrys
plus que par toute autre plante. D'autres Ombellifères
ont été refusées, ainsi que les Ruta continentales.
Du côté des chenilles, la spécificité est aussi
marquée. Foeniculum vulgare est accepté, mais
sa valeur trophique est médiocre pour l'espèce:
croissance ralentie, mortalité élevée par plus
grande sensibilité aux maladies, faible poids des
chrysalides. Pour la plupart des Papilio, cette
Ombellifère est pourtant une nourriture passepartout,
facilement acceptée et de bonne valeur.
Au contraire, Ferula et Ruta corsica sont des
plantes toxiques, mal tolérées par beaucoup d'espèces.
Les chenilles récoltées dans la nature souffrent
souvent d'un taux de parasitisme par
Hyménoptères extraordinairement élevé (supérieur
à 90%). Certains parasites sont spécifiques
de P. hospiton, en particulier Dinotomus violaceus
Mocs., qui semble bien être l'espèce-soeur
insulaire de D. lapidator mentionné pour P.
machaon. L'espèce est par ailleurs porteuse de
maladies virales extrêmement actives, suceptible
d'anéantir totalement un élevage; ces maladies
passent facilement aux espèces voisines où
elles sont encore plus dévastatrices.

P. hospiton est traditionnellement considéré
comme univoltin ; à basse altitude, il vole en
avril-mai, avec un décalage progressifquand on
monte; les populations que l'on trouve autourde
2000méclosentenjuillet. Ceci est lié aux cycles
de la plupart des plantes nourricières: la Férule,
en particulier, sèche dès juin-juillet. Il semblerait
aussi que les populations des zones élevées
n'auraient pas le temps de faire deux générations.
Cependant, les colonies liées à P. paniculatum
sont partiellement bivoltines. Ce fait a été
soupçonné parGOODMANetGOODMAN (1927),
COULONDRE (1987) et FAUSSER (1989), qui ont
observé des imagos en juillet-août à basse altitude;
nous l'avons confmné en élevage, où une
partie des chrysalides obtenues sont écloses sans
diapause. Le Peucedan est en effet pérenne et
peut fournir de la nourriture même en été. D'une
manière plus surprenante, nous avons obtenu le
même résultat à partir d'une femelle provenant
d'une population d'altitude liée à Ruta corsica.
Dans le nord de la Corse au moins existe donc
une souche polymorphe, qui présente des individus
à diapause «obligatoire» et d'autres à diapause
déclenchée par les conditions ambiantes.
La très grande vagilité des individus, qui peuvent
couvrir rapidement des distances et des
dénivelées importantes, explique sans doute la
coexistence dans les mêmes localités d'adultes,
de chenilles en L5 et de chenilles néonates (SIMMONS,
1927), de même qu'elle laisse supposer
une structure de populations ouverte. Nous
pouvons par ailleurs soupçonner que le locus
déterminant la diapause est situé sur le chromosome
Z comme chez d'autres Papilio (HAGEN et
SCRIBER, 1989).
c) P. alexanor Esper 1799. C'est un pontoméditerranéen
qui possède un peuplement disjoint
dans le sud-est de la France. Il est strictement
univoltin.
La chenille consomme électivement des inflorescences
et fruits d'Ombellifères. La difficulté
de détermination de celles-ci a donné lieu à
bien des citations aberrantes de plantes nourricières
; en fait, dans les Alpes du sud et les
Préalpes jusqu'à la Drôme, l'espèce semble
monophage, surPtychotis heterophyllaMoench.
(ALLIEZ et SOURES, 1961 ; BOUSSEAU, 1972).
Cependant, une double ignorance laisse peser
un doute : on peut être amené à conclure que
l'espèce refuse une plante parce qu'on lui a
offert des feuilles - or celles-ci sont toujours
rejetées car les chenilles n'acceptent que les
ombelles. Une exception à cette monophagie
probable est fournie par les populations isolées
de l'arrière-pays toulonnais, liées à une toute
autre Ombellifère, Opopanax chironium L. (NEL
et CHAULIAC, 1983). Cependant, P. heterophylla,
aussi présent dans la localité et d'ailleurs largement
répandu en Provence, est occasionnellement
utilisé, mais seulement quand il voisine
avec Opopanax. Dans les Préalpes de Vence, à
l'extrémité sud-ouest de l'aire principale, O.
chironium sert également de plante nourricière
(RECHE, 1978) ; ce n'est pas le cas dans ses
localités du Luberon, où vit aussi P. alexanor.
Ptychotis heterophylla pousse sur les éboulis
calcaires. C'est une espèce monocarpique à petites
feuilles, dont l'inflorescence ne représente
pas une biomasse importante. Ces plantes sont
clairsemées et passer de l'une à l'autre est une
opération risquée. Ici, la quantité de ressource
est donc particulièrement limitante. Grosse plante,
O. chironium offre une nourriture abondante.
La ponte est extrêmement spécifique. Elle est
par ailleurs difficile à obtenir, en particulier sur
Ptychotis ; la femelle ne pond qu'un oeuf à la
fois. La présence d'oeufs sur l'inflorescence en
inhibe le dépôt de nouveaux; de plus, la ponte
n'a pas lieu dans des cages exiguës et sur des
plantes trop petites. La chenille est cannibale et
dévore les individus plus petits qui pourraient
cohabiter - tous faits qui rendent l'élevage de
l'espèce difficile.
Les faits précédemment exposés sont valables
pourles populations liées au Ptychotis. P.
alexanordestelensis, de la région toulonnaise, se
comporte bien différemment. D'abord la taille
de la sous-espèce est de 20% plus grande. On
trouve souvent de 20 à 30 oeufs sur la même
plante, et l'on n'observe pas de tendance cannibale
; il y a souvent plusieurs chenilles par
plante. Le parasitisme est important ; chez les
populations liées au Ptychotis, un Hyménoptère
de taille moyenne attaque les chenilles en L2 lA
; après sa sortie, il se chrysalide sur la plante
nourricière, abrité dans un cocon, ovoïde, allongé,
présentant des dessins rappellant sa victime.
Il existe aussi un grand Hyménoptère, restant
dans la chrysalide sous forme de nymphe tout
l'hiver et sortant au moment du début du développement
des chenilles. Chez les populations
liées à Opopanax, ce sont les oeufs qui subissent
un parasitisme très lourd par des Braconides ;
ceux qui ont été tôt pondus peuvent leur échapper
mais, pour les plus tardifs, le déchet avoisine
100%. Par ailleurs à l'occasion d'une expérience
d'implantation de chenilles dans une localité
d'Opopanax non colonisée, nous avons pu
observer la disparition de plus de 50% des chenilles,
sans doute par prédation non spécifique.
On trouve aussi des chenilles de Machaon sur les
plantes concernées. Les deux espèces sont liées
par des rapports de mimétisme assez évidents.
La parenté entre ces deux Papilio est lointaine,
au point qu'alexanor a souvent été considéré
comme appartenant à un genre différent.

2. La spécificité chez les Pieridae du groupe
des Euchloini (genres Euchloe Hübner et Anthocaris
Boisduval.)
Les Euchloe et leurs très proches voisins, les
Anthocaris, sont les Piérides à la spécificité
alimentaire la plus poussée : ils consomment
exclusivement les fruits des Crucifères. Nous
étudierons ici le cas de trois espèces provençales :
E. crameri Butler 1869, E. tagis (Hübner, 1804)
etA. euphenoides Staudinger 1869.
a) E. crameri est l'espèce européenne la plus
répandue du genre; présente dans tout le bassin
méditerranéen, elle peut, certaines années, arriver
jusque dans la moitié Nord de la France, car
elle est migratrice.
Elle est relativement polyphage. La femelle
accepte les siliques de nombreuses Crucifères:
Sisymbrium L., Sinapis L., Barbarea Lob., Diplotaxis
OC., ainsi que d'Isatis tinctoria L.,
arrivante récente en Provence. Dans la région
marseillaise, elle profite de l'envahissement des
localités perturbées par toutes ces plantes. Dans
la vallée inférieure de la Sioule, nous l'avons
trouvée dans les années 60 sur d'abondants
peuplements de Biscutelle, un peu exceptionnels
dans le Massif Central. La chenille accepte un
grand nombre de Crucifères, pourvu qu'on lui
offre des fruits, et son succès est très homogène.
Elle est nettement aposématique. L'incidence du
parasitisme et des infections virales est souvent
très lourde. L'espèce vole avec fougue, et la
femelle pond difficilement en captivité; nous
n'avons donc pas pu observer une inhibition de
la ponte par d'autres oeufs. On notera cependant
que plusieurs chenilles peuvent cohabiter sur la
même plante. Les chenilles ne sont pas usuellement
cannibales.
La régulation du voltinisme est complexe. On
observe une génération d'adultes massive au
premier printemps, suivie d'émergences éparpillées
tout l'été. En élevage, beaucoup des
chenilles issues des papillons du printemps
donnent des chrysalides diapausantes, mais
quelques autres ont un développement direct.
Elles redonnent donc les adultes de ces générations
tardives observées sur le terrain. L'existence
d'un polymorphisme régulant ce phénomène
est vraisemblable; l'interprétation la plus
simple serait que le caractère «diapause obligatoire
» soit monogénique et dominant. Les récessifs
non diapausants continueraient donc leur
cycle jusqu'à l'apparition des conditions photothermopériodiques
engendrant la diapause. Ce
schéma est sans doute simpliste, des phénomènes
de seuil sont probables, avec une dominance
partielle ou un déterminisme polygénique. On
notera aussi un polyphénisme marqué, qui a
parfois fait considérer les émergences estivales
comme espèce distincte. Quoiqu'il en soit, les
ressources sont beaucoup moins abondantes en
été qu'au printemps: les Crucifères sont des
plantes à floraison printanière.
b) E. tagis : c'est un méditerranéen qui, bien
que non migrateur, peut coloniser parfois jusqu'au
environs de Lyon. Sa présence est irrégulière,
il est tantôt abondant, tantôt rare et localisé.
Sa zone d'occurrence régulière est la Provence
intérieure froide. Par contraste avec la précédente,
c'est un papillon peu vigoureux, calme,
facile à conserver en captivité.
Cette espèce est inféodée aux Iberis L. C'est
d'habitude sur I.pinnata L. qu'elle est observée
en abondance; or cette plante annuelle est caractéristique
des champs de céréales négligés ou
abandonnés. Le «réservoir» semble être plutôt
1. saxatilis L., espèce vivace du Genistetum 10belii.
Les deux plantes ont une production de
siliques modérée et la consommation des fruits
par les chenilles constitue un handicap pour la
propagation. 1. pinnata est capable de proliférer
dans les cultures d'une manière très rapide et
instable. Son phytophage la suitdans sa multiplication
éphémère ; on le trouve alors un peu
partout dans les campagnes, pendant un an ou
deux ; puis plante et papillon redeviennent rares
; il faut aller chercher sur les barres rocheuses
du Genistetum lobelii pour trouver quelques
E. tagis. Le papillon est strictement univoltin.
c) Anthocaris euphenoides : l'aire de distribution
de ce Lépidoptère est méditerranéenne, avec
des colonies extrêmes dans le Lot, la basse
Savoie, la bordure est du Massif Central.
Il n'y a pas monophage plus strict que ce
papillon. Non seulement la chenille ne se nourrit
que de Biscutella laevigata L., mais les adultes
en butinent les fleurs et dorment sur ses inflorescences
dont ils sont homochromes. Une seule
exception à cette règle de la monophagie a été
observée dans l'Isère où la Biscutelle est absente,
etoùA. euphenoides se nourrit d'une autre
Crucifère, probablement un Diplotaxis (BOUSSEAU,
1972) ; les chenilles venant de populations
inféodées à la plante <<normale» l'acceptent
sans difficulté. Laté-méditerranéenne arrivant
en Bourgogne et dans le Nord du Massif Central,
la Biscutelle est une vivace en rosettes des Thero-
Brachypodetalia. Elle colonise les lieux perturbés:
bords de route, terrasses. La floraison a
lieu en mars-avril, suivie de la maturation des
fruits qui s'achève en mai. Rabattue, la plante
émet une nouvelle tige florale jusqu'en mai-juin.
Les inflorescences sont peu abondantes dans la
région méditerranéenne, et les fruits peu nombreux;
ceci contraste avec les colonies du nord

de l'aire de la plante, où les Biscutelles sont plus
profuses. Dans le Midi, les colonies de la plante
sont rarement serrées (sauf dans des zones fraîchement
perturbées) et on n'observe pas souvent
deux individus côte à côte - contraste là encore
avec les régions du Centre où pousse l'espèce.
La période de vol de A. euphenoides, avril en
étage collinéen, coïncide avec la floraison de la
Biscutelle et le développement de la chenille
avec celui des fruits : l'espèce est strictement
univoltine.
Le comportementadulte témoigne del'inféodation
de l'insecte à sa plante. Les mâles patrouillent
dans les localités où pousse la Biscutelle,
dont ils visitent les inflorescences en butinant
et en recherchant les femelles. Le rôle
pollinisateur de ces insectes est à considérer.
Comme chez la plupart des Rhopalocères, ils
sont assez agressifs etdeux mâles se poursuivent
souvent jusqu'à ce que l'un d'entre eux s'en
aille. lis donnent l'impression d'un vol ttès actif
mais des marquages nous ont montré qu'ils sont
en fait inféodés à un territoire restreint qu'ils
parcourent en tous sens.
Les femelles sont plus furtives et ne manifestent
pas le même comportement territorial; elles
ne sont pas fidèles à un territoire précis. WIKLUND
etAHRBERG (1978) ont décnt chez l'espèce
voisine ubiquiste A. cardamines L. un comportementsimilaire
dans les deux sexes. Deplus,
en particulier en cage, les femelles sont agressives
et se chassent mutuellement avec bien plus
de dureté que les mâles ; ce fait est tout à fait
exceptionnel chez les Lépidoptères. Elles perçoivent
les oeufs déjà pondus sur les inflorescences
et évitent alors d'en déposer un autre - ce qui
est particulièrement gênant en élevage. Cette
perception, si elle est visuelle, est remarquable
car, à nos yeux, ces oeufs sont difficiles à distinguer
des pièces florales et pourraient paraître
homochromiques. Les chenilles semblent être
moins facilement reconnues ; l'occurence assez
fréquente de femelles tardives laisse la possibilité
de l'existence de plus d'une chenille par
plante, mais avec un décalage.
Les larves sont aposématiques, ou mimétiques
de celles d' E. crameri. Ce fait pose problème
: les deux espèces vicariantes, A. damone
Boisduval 1836 (Méditerranée orientale) et A.
belia Linnaeus 1767 (Maghreb) sont toutes deux
homochromiques, comme A. cardamines. Les
deux premières cohabitent aussi avec E. crameri
; pourquoi A. euphenoides a-t-il seul basculé
vers le mimétisme ?
Les chenilles sont aussi férocement cannibales.
En élevage, il finit par ne rester qu'un
individu parcage... Très souvent, il s'agit d'une
femelle, qui donnera un adulte gros, gras et très
fécond. Dans la nature le taux d'infestation des
plantes de Biscutelle est très élevé : pratiquement,
au moins dans les années où A. euphenoides
ne présente pas un creux démographique
notable, une chenille parplante, parfois deux, de
taille inégale. Bien souvent, la plante'n'offre
qu'une portion congrue à son hôte; en témoigne
d'ailleurs la taille parfois minuscule de certains
adultes. Dans ces conditions, la production de
graines est souvent faible, mais il faut compter
avec les repousses tardives.
L'ubiquiste E. crameri se trouve aussi sur
Biscutelle ; on trouve parfois les chenilles des
deux espèces côte à côte. J'ai suivi quelques-uns
de ces couples; sans avoir assisté aux faits, j'ai
toujours vu A. euphenoides subsister seul à la
fin...
Dans les Pyrénées-Orientales, où la Biscutelle
est plus luxuriante (écotype ou conditions
climatiques différentes ?), A. euphenoides estde
taille 20% plus grande.
DISCUSSION ET CONCLUSION
Dans le débat, qui devient infiniment complexe,
des rapports plantes - herbivores, le
présent travail permet d'illustrer et de nuancer
quelques principes.
1. L'impact des papillons diurnes sur leurs
plantes nourricières peut être significatif
La production de graines par[beris pinnata et
Biscutella laevigata peut être sévèrement diminuée
par l'attaque d'E. tagis et A. euphenoides,
dans leur période d'abondance maximale. Peuton
détecter une défense spécifique des végétaux
? Ce sujet a focalisé une attention considérable
dans les temps récents, car il permettrait de
mettre en évidence des phénomènes de coévolution
(FUTUYMA, 1983). Des preuves de telles
défenses ont été trouvées dans le couple Crucifère
- Pieridae en Californie (SHAPIRO, 1981a,
b) comme chez les Heliconius et les Passiflores
(WILLIAMS et GILBERT, 1981) ; dans les deux
cas, les plantes forment des appendices (stipules)
mimant des oeufs. On serait tenté de considérer
l'évidente parcimonie de floraison et la
capacité de récupération des Biscutelles comme
une stratégie d'évitement vis-à-vis du phytophage;
maiscommeCHEW (1988), on s'abstiendra
de les interpréter comme telles, car les contraintes
du climat méditerranéen suffisent pour
expliquer ces caractéristiques, qui seraient des
«exaptations» (GOULD et VRBA, 1982). De la

même manière, JORDANO et al. (1990) ont montré,
chez le Lycénide méditerranéenTomares ballus,
que l'impact de la consommation des graines de
la plante nourricière (Astragalus lusitanicus)
restait en fin de compte mineur par rapport aux
autres causes de perte de fécondité.
L'échantillon végétal étudié est absolument
biaisé ; par définition, il ne comporte que les
perdants, ceux qui n'ont pas pu échapper au
phytophage. Or, une grande partie des Crucifères
méditerranéennes échappe à l'attaque des
Pieridae (COURTNEY et CHEW, 1987). Dans les
Bouches du Rhône, sur 64 espèces de Crucifères
notées comme indigènes régulières par la Rore
de Molinier (1981), une quarantaine sert de
nourriture à des Pieridae et moins de 10 sont
utilisées régulièrement et spécifiquement. nen
est de même pour les Ombellifères dont une
petite minorité seulement sert de nourriture aux
Papi/io en Scandinavie (WIKLUND, 1973 et 1974)
comme en Provence.
2. Il existe de nombreuses preuves de l'étroite
dépendance de papillons vis à vis de leur
plantes nourricières.
a) Lapremière est la contrainte phénologique
évidente qui s'exerce sur le cycle des diverses
espèces. Les adultes éclosent au démarrage du
cycle de leurs plantes et le développement larvaire
suit la croissance végétative des parties
consommées (COURTNEY, 1982). Le caractère
exceptionnel et opportuniste des générations d'été,
présentes chez les euryéciques (P. machaon, et
aussi l'espèce américaine voisine P. zelicaon en
Californie, E. cramerz) s'oppose à l'univoltinisme
des espèces spécialisées. Quand une ressource
est partiellement disponible en été, un
polymorphisme apparaît dans le déclenchement
de la diapause, comme chez E. crameri et P.
hospiton. Nous aurions aimé trouver le même
polymorphisme chez P. machaon, mais n'avons
jamais été capables de détecter des individus à
diapause «obligatoire» dans les populations
provençales. La survie de l'espèce semble entièrement
reposer sur les Ombellifères et Rutacées
présentantdes partiesconsommablesenété (Nel,
1988) ; ces plantes ne constituent pas une biomasse
importante. En fait, on peut soupçonner
un changement récent dans la structure génétique
des populations provençales de P. machaon;
l'adaptation à des plantes cultivées ou rudérales
(Carotte, Fenouil) aurait permis aux génotypes à
diapause facultative de l'emporter. Le voltinisme
chez les Lépidoptères est capable d'évoluer
très rapidement si les forces sélectives s'en
mêlent (LEES, 1965 ; HOY, 1977).
Ce type de contrainte est présent chez la
grande majorité des espèces méditerranéennes ;
T. ballus en fournit un exemple frappant, aussi
bien dans ses IJO:Rulations (interwiki inconnu) provençales (DESCIMON
etNEL, 1980) qu'en Espagne (JORDANO et
ai., 1990).
b) L'abondance des ressources végétales est
un facteur limitant primordial de la densité des
populations de papillons dans le cas de monophages
stricts comme A. euphenoides ou P.
alexanor; chez ceux-ci, on observe même un
ajustement de la taille des individus à la quantité
de biomasse végétale disponible. Spécificité et
limitation des ressources sont liées à des comportements
diminuant la densité de peuplement
(ponte, cannibalisme). On retrouve dans notre
région le même type d'adaptation que celui
décrit par SHAPIRO (1980) chez un Anthocaris
californien. Dans le cas où la fidélité trophique
est plus faible, les populations végétales apparaissent
loin d'être saturées. Prédation, parasitisme,
pathologie jouent alors un rôle déterminant.
nest permis de penserque ces facteurs sont
dépendants de la densité: nous avons noté plus
haut l'«effet d'entraînement» de la prédation par
les Guêpes et, en cas de promiscuité, la pathologie
devient souvent catastrophique dans les élevages.
On n'oubliera pas non plus le rôle du
harcèlement des femelles par les mâles (SHAPIRO,
1970).
La stratégie «deux fers au feu» d'E. tagis est
remarquable en ce qu'elle superpose une liaison
avec une plante stable, fournissant une ressource
peu abondante, à une autre avec une plante
éphémère, permettant épisodiquement des densités
de population élevées. En fait E. crameri
joue aussi la sécurité avec son polymorphisme
univoltin-plurivoltin.
La fidélité phytophagique est avant tout déterminée
par le choix de ponte de la femelle. Sur
celle-ci repose la fonction de détecter les ressources
qualitativement et quantitativement
convenables pour les chenilles, et aussi abri,
protection et camouflage éventuel (WIKLUND,
1984). La physiologie sensorielle des femelles
est sûrement la clé des glissements d'une famille
de plantes nourricières à une autre, caractéristique
des Papilionides (SCRIBER, 1988).
fi s'agit d'une relation coadaptative essentielle
et délicate dans la structure du génôme, qui
n'est pas toujours réalisée de manière parfaite
(WIKLUND, 1978, 1981 et 1982). D'après
THOMPSON et al. (1990), le locus contrôlant le
choix de ponte chez les Papi/io est situé sur le
chromosome Z ; d'après HAGEN et SCRIBER
(1989), il en est de même pour le déterminisme
de la diapause, dont nous avons vu la relation

avec la phénologie des plantes nourricières. Une
liaison entre les deux locus aurait une signification
évidente. L'importance évolutive des hétérochromosomes
est connue (COYNE et ORR,
1989).
c) Les espèces étudiées ici sont aposématiques,
sauf E. tagis. Toutes stockent ou émettent
des substances toxiques extraites des plantes
nourricières, soit dans la chenille, soit jusqu'au
stade adulte (ROTIISCHILD et al., 1972). La dépendance
vis-à-vis de l'hôte est donc double. La
protection assurée est bien entendu relative; la
forte odeurémise parl'osmatérie de P. machaon
n'empêche ni les guêpes de tronçonner les chenilles
ni les Pteromalus d'y injecter leurs oeufs.
Il est même possible que l'attraction olfactive
évidente vis à vis de ces ennemis que nous avons
observée (et qui subsiste quelque temps dans une
boite vide) provienne de ces substances de défense.
3. La compétition interspécifique est particulièrement
manifeste chez les Zerynthia
Cette compétition a produit une coévolution
dont le résultat est une spécialisation dans la
zone de cohabitation: plantes nourricières, habitat
et phénologie y sont différents. Ici, le phénomène
de déplacement de caractère est facile à
saisir. Chez P. machaon et P. hospiton, compétition
et différenciation apparaissent aussi, mais
le phénomène de coévolution est moins évident :
P. machaon ne change pas par rapport à ses populations
continentales et le choix de l'habitat
particulier de P. hospiton se retrouve chez beaucoup
d'endémiques corses, sans doute en rapport
avec les caractéristiques de la végétation naturelle
: seules les crêtes offrent des espaces ouverts
permanents.
Si la coexistence apporte un aspect compétitif,
elle peut aussi impliquer une mise en commun
des moyens de défense vis-à-vis des prédateurs,
de type «mimétisme mullérien». P. machaon
et P. alexanor sont trop distants taxonomiquement
pour que la ressemblance de leurs
chenilles, toutes deux aposématiques, soit dûe à
un simple parallélisme. De même, la similitude
entre les chenilles d'E. crameri et celles d'A.
euphenoides est interprétée au mieux comme
résultant d'un mimétisme; ces papillons appartiennent
à une lignée essentiellement cryptique
et le mimétisme serait un caractère dérivé, apparu
sous l'influence de pressions sélectives convergentes.
La coévolution serait dans ce cas plus
mutualiste que compétitive - ce qui n'empêche
en rien les chenilles de s'entre-dévorer! Une
étude approfondie mettrait sans doute en lumière
un réseau complexe d'interactions.
On commence à savoir dater la mise en place
des écosystèmes méditerranéens; elle s'est faite
il y a quelques millions d'années (SUC, 1985).
Sans doute, beaucoup d'éléments qu'on yobserve
sont issus de lignées subtropicales de régions
sèches, nettement plus anciennes. De toutes
façons, l'évolution a eu le temps de mettre en
place des réseaux de coadaptations complexes,
dont l'inféodation des papillons à des plantes
nourricières est un exemple éloquent.
REMERCIEMENTS
Beaucoup de faits relatés ICI proviennent
d'observations communiquées par MM. François
Michel (Centre de Génétique Moléculaire,
C.N.R.S., Gifsur Yvette) et Jean-Pierre Vesco
(Valréas). Je les remercie très vivement pour
leur aide, aussi concrétisées par de nombreuses
discussions; le premier cité a par ailleurs bien
voulu lire le présent manuscrit et suggérer des
modifications. Je remercie également deux référés
anonymes pour leur aide dans l'amélioration
de cet article.
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