Fausses espèces : 4. Zerynthia rumina et Z. polyxena : rélativité des critères mixtes
Le genre
Zerynthia contient deux espèces [En Europe], toutes deux reconnues depuis l'aube de l'entomologie, la Proserpine
Z. rumina, une espèce de la Méditerranée occidentale, et la Diane
Z. polyxena, de la Méditerranée orientale. Ces deux papillons se chevauchent dans le sud de la France, où ils présentent une nette différenciation écologique, tandis que dans les zones où une seule une des deux espèces existe, ils présentent une niche écologie plus large. Outre les différences dans les motifs alaires, il existe des différences d'allèles entre les deux, avec D ≈ 0. 80, (Braconnot, non publié) et une forte divergence dans les séquences de gènes mitochondriaux et nucléaires (Nazari et al., 2007) - il ne fait aucun doute que ce sont de "bonnes" espèces ! Les deux présentent une nette différenciation intraspécifique : les motifs des sous-espèces françaises
Z. rumina medesicaste et
Z. polyxena cassandra se distinguent nettement des motifs alaires des sous-espèces nominales respectives, mais la variation forme un gradient progressif dans leur distribution.
Les hybrides naturels entre les espèces sont rares (seulement cinq sont connus par HD), mais l'appariement interspécifique a été observé dans la nature (de Puységur, 1947). Une longue période d'hybridation entre les différentes espèces a été effectuée par HD, certains résultats ont été publiés (Descimon et Michel, 1989). Lorsque
Z rumina medesicaste a été croisé avec
Z. rumina rumina, un hybride remarquablement vigoureux a été obtenu en F1, suivi d'hybridation problématique en F2 (F1 x F1) : arrêt du développement embryonnaire, faiblesse des larves, et difficultés de la nymphose. Moins de 5% des œufs ont donné des imagos sur environ 10 pontes suivies en parallèle.
La faible viabilité semble une constante avec d'autres types de croisements, seuls les rétro-croisements semblent restaurer une certaine viabilité, avec la sous-espèces d'origine (ou, paradoxalement avec
Z. polyxena). Les croisements entre
Z. polyxena polyxena de la Grèce et
Z. polyxena cassandra du sud de la France ont également produit des hybrides vigoureux en F1, et une baisse de viabilité en F2 (F1 x F1). Toutefois, la viabilité F2 n'est pas si faible (environ 25%), et les hybridations suivantes (F2 x F2 et plus) montrent une nette amélioration de viabilité : l'incompatibilité semble donc moins marquée que dans le premier cas. Les croisements entre
Z. polyxana autrichien et français ne produit pas de faible de viabilité en F2.
Le choix du partenaire a été étudié dans des cages contenant 10 mâles et 10 femelles de chaque espèce. Seuls les croisements intraspécifiques ont été observés (y compris la sous-espèce distincte mentionnée ci-dessus), ce qui démontre de fortes barrières prézygotiques entre les espèces. Toutes les femelles se sont accouplées et une femme de Z. polyxena a produit une descendance composée en partie de
Z. polyxena et en partie d'hybrides. De toute évidence, elle s'était accouplée deux fois, et avec des mâles de chaque espèce. Les hybrides sont viables, mais alors que les hybridations F1 x F1 n'ont pas donné de progéniture, les rétro-croisements avec
Z. polyxena et
Z. Rumina ont réussi. Les hybrides issus de rétro-croisements des deux côtés ont été croisées avec les souches parentales les plus éloignés. Les individus obtenus, qui avaientt 3/4 de leurs gènes d'une espèce et 1/4 de l'autre, ont donné des descendances F3 symétriques de 3/8 de
Z. rumina - de 5/8 de
Z. polyxena réciproquement. Le même schéma a été appliqué en F4 et au-delà.
Les possibilités de croisements complexes augmente avec le rang d'hybridation et certains ont été expérimentés (pour un compte-rendu complet, voir Descimon et Michel, 1989). Les hybrides sont viables à condition qu'ils aient au moins un génome complet d'une souche parentale non recombinée. Beaucoup plus étonnant, deux derniers hybridations de type hybride x hybride (peu d'essais ont été tentés) ont donné une progéniture assez viable, sans écart significatif par rapport au sex-ration de 1:1 ou d'anomalies de diapause. En dépit de différences prénuptiales manifestes entre les espèces pures, les hybrides femelles sont attrayants pour les mâles de deux espèces, et les hybrides mâles sont attirés par toutes les femelles. Des résultats similaires sur l'attractivité sexuelle des hybrides ont été obtenus chez d'autres espèces de papillons, par exemple chez les
Heliconius (
McMillan
et al., 1997; Naisbit et al., 2001).
Il n'a pas été possible de poursuivre les hybridations, mais certains faits ressortent clairement. Tout d'abord, la faisse de viabilité n'est pas systématique dans les croisements interspécifiques en F2. D'autre part, cette baisse de viabilité n'est pas seulement limitée aux croisements interspécifiques, elle peut intervenir entre les sous-espèces, comme cela est connu chez d'autres espèces (par exemple, Oliver, 1972, 1978; Jiggins et al., 2001). Ce dernier fait est particulièrement paradoxale, puisque, dans le cas de ces deux espèces, les zones de contacts entre populations semblent montrer une "incompatibilité entre-elles". Des travaux de terrain approfondis permettraient de révéler des caractéristiques intéressantes dans ces zones de contacts. La non-viabilité des hybrides n'est donc probablement pas un critère fiable permettant de séparer de taxons géographiquement éloignés. La possibilité d'hybridations successives entre ces deux papillons une fois que les barrières les séparant ont été supprimées montre qu'il n'existe pas de seuil d'incompatibilité post-zygotique absolu chez les espèces.