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Enquête Diane, Proserpine, Aristoloches









Ceci est une version archivée de Boireau1995Textes à 2010-09-02 14:46:57.

Régression de Zerynthia polyxena dans le département des Alpes-Maritimes (Lepidoptera, Papilionidae)


Patrick BOIREAU, Sabine BRACONNOT

"Le Florida", 1 Avenue de Verdun, 06230 VILLEFRANCHE-SUR-MER.

Depuis quelques temps, un sentiment inquiétant se fait sentir plus fort d'année en d'année : les populations de la "Diane", Zerynthia polyxena, un des plus beaux papillons de notre région, et certainement d'Europe, sont en nette régression. Nous avons voulu le vérifier. Nous exposons ici les premiers résultats de nos investigations. Ceux-ci confirment malheureusement ce sentiment sur une espèce que nous connaissons bien : le premier d'entre nous (P.B) pour l'avoir élevée pendant sept années consécutives (de 1982 à 1988) et le second d'entre nous (S.B) pour avoir étudié sa diversité génétique dans le cadre d'un DEA (BRACONNOT, 1990).

MATERIEL ET METHODE


Matériel biologique


Zerynthia polyxena est un Papilionidae monovoltin qui apparaît du début du mois d'avril à la fin du mois de mai en fonction de l'altitude et de l'exposition de sa station. Très beau, ce papillon est souvent recherché par les collectionneurs, ce qui est paradoxalement ici un avantage. En effet, il est représenté dans la majorité des collections des Alpes-Maritimes ; sources donc d'une multitude de données toutes plus intéressantes les unes que les autres, et souvent complémentaires.

La "Diane" est une espèce que l'on peut qualifier de monophage car bien qu'elle accepte quelques autres espèces de la familles des Aristolochiaceae, sa chenille de développe principalement sur Aristolochia rotunda. En dehors de A. rotunda, dans notre départment, les chenilles sont observées aussi sur A. pallida dans les stations les plus élevées et les plus sèches. Par ailleurs, VARENNE (comm. pers.) nous a signalé avoir observé deux œufs sur A. clematitis à Mouans-Sartoux le 14 avril 1986. Cette spécialisation dans le régime alimentaire des chenilles en fait une espèce particulièrement vulnérable.

En conséquence, la "Diane", Zerynthia polyxena, est maintenant une espèce protégée sur le plan national par l'arrêté du 22 juillet 1993. Elle est inscrite à l'annexe II de la Convention de Berner ratifiée par la France en 1989 et à l'annexe IV de la Directive Habitats. Les stations les plus septentrionales sont connues dans notre département, sont celles de Lecens et du Col de Braus.

Méthode


Nous avons relevé le maximum de données (lieu, altitude, date, nombre d'exemplaires et sexe) dans les collections auxquelles nous avons pu avoir accès. Dans le but de mieux visualiser ce qui se passe, nous avons décidé de ranger les données recueillies suivant trois périodes : avant 1960, entre 1960 et 1980 et après 1980. La première coupure : 1960 correspond à celle déterminée par le Secrétarait Faune et Flore pour la cartographie des invertébrés européens afin de déceler les variations dans la répartition des espèces. Nous avons décidé d'ajouter une deuxième coupure : 1980 car la disparition des stations de Zerynthia polyxena nous parâit en accélération ces quinze dernières années malgré la protection dont l'espèce fait l'objet depuis six ans. Les résultats obtenus sont portés sur trois fonds de carte correspondant aux trois périodes.

Par la suite, en fonction de nos possibilités et surtout de nos disponibilités, nous avons rendu visite aux stations relevées en y recherchant le papillons ou ses chenilles. Dans le cas où le papillon en a disparu, nous essayons d'en découvrir la raison.

Résultats


Les résultats obtenus sont exposés ci-dessous. Attention, le nom de la personne qui suit la donnée n'est pas forcément celui du récolteur. Il est suelement celui de la personne qui est à l'origine de l'information. Il peut s'agir d'une note issue de son carnet de chasse, d'une donnée relevée sous un insecte de sa collection mais dont le récolteur est un autre collègue... Lorsque l'origine de la donnée est une publication, nous avons procédé comme il se doit lorsque l'on cite une publication, c'est-à-dire en rajoutant l'année de la publication après le nom de l'auteur. Evidemment, vous trouverez les références complètres de la publication en question dans le paragraphe bibliographique. Pour évitez de trop surcharger les résultats, les abréviations suivantes ont été employées : MHNN pour le Muséum d'Histoire Naturelle de Nice et CIE pour Cartographie des Invertébrés Européens.

Lorsque plusieurs stations sont connues au sein d'une même localité, nous avons parfois rajouté un élément qui permet des différencier. Par exemple : Villeneuve-Loubet ; Villeneuve-Loubet "La Vacherie" ; Villeneuve-Loubet St-Andrieu ; Villeneuve-Loubet plage. Par ailleurs, Zerynthia polyxena étant une espèce protégée, elle est recherchée par un certain nombre d'entomologistes peu scrupuleux voyant en elle une bonne monnaie d'échange quand ce n'est pas pour en faire directement le commerce. Nous sommes donc restés volontairement vague et peu précis en ce qui concerne les localités des stations abritant de la "Diane", par respect envers l'insecte lui-même, mais aussi envers l'auteur de l'information qui nous a fait confiance.

Les résultats obtenus sont les suivants :

Localité Période 1 Période 2 Période 3
Antibes DESCIMON
Antibes La Brague BROQUET BIANCHINI, BOIREAU, KULESZA, STROBINO
Bézaudun-les-Alpes BROQUET
Biot MHNN BRICOUX 1975, CORNIER
Bramafan BILLI
Cagnes-sur-Mer CORNIER, MHNN, PYUSEGUR 1936, VERITY 1952 BERNARDINI, CIE, MHNN
Cannes LARTIGUE, MILLIERE 1870 BRICOUX 1975, EISNER 1974
Carros BRICOUX 1975 BIANCHINI
Col-de-Bleine BIANCHINI
Col-de-Braus GEORGE
Col-de-la-Sine BRACONNOT
Col-du-Pilon BOIREAU
Cros-de-Cagnes BRICOUX 1975
Gattières, station basse PUYSEGUR 1936 BRICOUX 1975 BIANCHINI
Gattières, station haute BIANCHINI
Gilette STROBINO
Golfe-Juan LARTIGUE
Grande Rimade BERNARDINI, NHNN BILLI, BRICOUX 1975, MHNN DESTRE, STROBINO
Gréolières VARENNE
Juan-les-Pins DESCIMON DESCIMON
La Colle-sur-Loup PUYSEGUR, 1936 BRICOUX 1975, DESCIMON, EISNER 1974, CIE, PLANEIX 1968
La Gaude BROQUET, MHNN, PUYSEGUR 1936 BIANCHINI, BRICOUX 1975, DESCIMON, BROQUET BOIREAU 1991
La Trinité BIANCHINI
La Valmasque BROQUET BOIREAU
Le Broc BROQUET BROQUET BROQUET
Le Rouret MHNN BRICOUX 1975, MHNN
Levens BILLI, CIE BIANCHINI, BOIREAU
Lingostière STROBINO
Mandelieu BROQUET, DESCIMON
Menton MALRIEU 1927 EISNER 1974
Mouans-Sartoux BIANCHNI, VARENNE
Mougins fichier CIE BILLI, CHIROUSSE
Moutons d'Anou STROBINO BRANCONNOT, BROQUET, STROBINO
Opio BOIREAU, BRACONNOT
Pégomas DESCIMON BIANCHINI
Plaine du Loup CORNIER
Plateau de Calern LABEYRIE
Plateau de Caussols BOIREAU & BRACONNOT, CORNIER, LUQUET 1972, MHNN STROBINO
Pont de la Manda : rive droite du Var BRICOUX 1975
Pont-du-Loup BROQUET
Roquebrune-Cap-Martin VERITY 1952 BRICOUX 1975
Saint-Barnabé MHNN, VERITY 1952 BRICOUX 1975, CHIROUSSE, CIE, MHNN BOIREAU, CHIROUSSE, LARTIGUE
Saint-Isidore PUYSEGUR 1936
Saint-Jeannet PUYSEGUR 1936
Saint-Laurent-du-Var PUYSEGUR 1936 BRICOUX 1975
Saint-Paul LARTIGUE BRICOUX, 1975
Saint-Paul, le Malvan MHNN EISNER 1974
Tourette-Levens BIANCHINI
Tourrette-sur-Loup BIANCHINI, BRICOUX 1975, BROQUET STROBINO
Val-de-Cagnes BROQUET
Vence, Col de Vence BRICOUX 1975 BROQUET, CHIROUSSE, CORNIER BIANCHINI, BILLI, BRACONNOT, CHIROUSSE
Villeneuve-Loubet BILLI, DESCIMON, VERITY 1952 BRICOUX 1975, MHNN
Villeneuve-Loubet, Saint-Andrieu MHNN, PUYSEGUR 1936
Villeneuve-Loubet plage fichier CIE
Villeneuve-Loubet "la Vacherie" CORNIER


Analyse et discussion


Avant 1960, 28 stations sont inventoriées. C'est le début des voyages entomologiques (MALRIEU, 1927) et des grands travaux de synthèse (MILLIERE, 1870 ; PUYSEGUR, 1936 ; VERITY, 1952).
Entre 196à et 1980, 31 stations sont recensées. Outre le fait que les Alpes-Maritimes hébergent un groupe de Lépidoptéristes très dynamiques, nous remarquons de la Provence et la Côte d'Azur sont largement fréquentés par les entomologistes de nombreux pays d'Europe. Nous rencontrons beaucoup de citations dans la littérature et les compte-rendus de chasses printanières dans la région sont nombreux. (BRICOUX, 1975 ; EISNER, 1974 ; LUQUER, 1974 ; PLANEIX, 1968). Certaines stations non citées avant ont du y êtres découvertes.
Après 1980, seulement 27 stations sont inventoriées. Treize d'entre elles n'étaient pas encore connues. La disparition de la majorité des populations littorales a obligé les lépidoptéristes à rechercher l'espèce ailleurs, un peu plus loin dans l'arrière-pays. Un intérêt moins grand de la part des entomologistes pour cette espèce mieux connue, ajouté aux premières mesures de protection, a aussi pour conséquence un nombre d'individus en collection moins important. A la place, nous remarquons plus de notes de terrain, parfois quelques photographies, mais surtout de nombreuses citations vagues nécessitant des vérifications. Pour remédier à ce désavantage, nous avons essayé de retrouver l'espèce chaque printemps depuis cinq ans dans un maximum de stations. Ceci n'a malheureusement pu se faire qu'en fonction de notre disponibilité souvent hypothétique par l'activité professionnelle de l'un de nous (P.B) ce qui laisse encore quelques points d'interrogation quant à la subsistance de certaines populations fugaces.

Le résultat de nos investigations est éloquant. Il faut se rendre à l'évidence : aujourd'hui, nous sommes en mesure d'annoncer l'extinction définitive de Zerynthia polyxena des stations de Mandelieu, Cannes, Golfe-Juan, Juan-les-Pins, Antibes, Villeneuve-Loubet, Villeneuve-Loubet Saint-Andrieu, Villeneuve-Loubet plage, Cagne-sur-Mer, Saint-Laurent-du-Var, La Trinité, Roquebrune-Cap-Martin et Menton.
A Plaine-de-la-Bragues, la station a sérieusement été touchée par l'extension des parcs d'attraction qui y sévissent. Seul un petit noyau de cette population subsiste dans un terrain encore miraculeusement vierge de tout aménagement. Ce terrain st extrêmement convoité par beaucoup. Même si en plus de l'existence de Zerynthia polyxena, il y croît naturellement cinq espèces botaniques protégées (SALANON, comm. pers.), nous sommes particulièrement pessimistes sur son avenir. La population de "la Diane" qui y subsiste est donc en sursis et disparaîtra dans un avenir assez proche.
La Valmasque abrite une population morcelée qui paraît encore bien établie. Sa station semble, au moins en partie, y être préservée par le parc départemental. Il faudra veiller toutefois à ce que les milieux habités par cette espèce ne se ferment pas.
Sur le littoral, c'est l'accélération impressionnantes de l'urbanisation qui a entrainé l'éradication définitive de l'espèce en de nombreuses stations, principalement par l'extension des villes côtières? A Villeneuve-Loubet, Saint-Andirue, c'est la construction d'un échangeur autoroutier qui a détruit la station. L'aménagement des zones humides du littoral est aussi dramatique pour ce papillon ; exemples : le complexe immobiliser à Juan-les-Pins, bétonnage du bord des rivières à l'embouchure de la Cagne et à celle du Loup.
Parmi les causes à l'origiine de la disparition de Zerynthia polyxena, il faut évoquer le cas du Col du Pilon où nous avions repéré en 1983 une population fugace qui semble avoir disparu de nos jours. Le papillon habitait de petites clairières dans une formation de jeunes chênes? Cette formation allant en se fermant chaque année davantage, semble avoir entraîné la disparition de l'espèce à qui le milieu ne convenait plus, sa plante-hôte ne pouvant plus s'y épanouir pleinement.
Les incendies de forêt ont parfois été évoqués comme cause de raréfaction, notamment pour celle de Papilio hospiton en Corse. C'est nullement le cas ici. Bien au contraire ils profitent à l'espèce qui trouve ainsi les milieux "nettoyés" par le feu et les voit se rouvrir, ce qui favorise le développement de sa plante-hôte. C'est encore plus flagrant chez Zerynthia rumina qui connait une explosion démographique spectaculaire dès la deuxième année après le passage d'un incendie. Les milieux habités par Zerynthia polyxena sont toutefois moins touchés par les incendies car plus humides

Dans ce cas encore, nous nous rendons compte que protéger des insectes sur le papier en publiant des arrêtés ne suffit pas. Autre aberration : nous remarquons aussi que souvent les plantes-hôtes des insectes vulnérables ne sont pas protégées. Il est clair que la protection d'une espèce n'est envisageable que si son biotope, dans sa totalité, est préservée. Par conséquent, il faut des mesures efficaces pour que le milieu soit protégé. La Directive Habitats ne doit pas rester une directive. Les promoteurs ont souvent la même réponse : votre papillon est mobile, il a des ailes et évolue librement à la recherche de sa nourriture. Vous ne pouvez donc pas tracer son territoire sur une carte. Devant cet argument, beaucoup d'entomologistes ne réagissent pas. S'il est vrai que l'imago est très mobile et se rend parfois très loin chercher sa nourriture, il est totalement faux que l'on ne puisse pas délimiter sa station. La plupart des espèces ont des chenilles monophages ou oligophages et c'est le cas ici avec Zerynthia polyxena. Dans une station donnée, les chenilles sont donc liées à une espèce botanique précise. La répartition de cette dernière est délimitable géographiquement et révèle ainsi les limites précises de la station du Lépidoptère. Un territoire absolument vital pour la survie de l'espèce. Un véritable berceau qu'il faut protéger impérativement, dans notre région, les enjeux financiers sont tels que, espèces animales et botaniques protégées ne font pas le poids.

En 1957, KLINZIG évoquait déjà les problèmes dont souffre notre région : Ici, à la Côte d'Azur, le "milieu ambiant" change à un rythme accéléré. Le mouvement préparatoire à l'agonie de la Nature a déjà gagné le hinterland de la côte... La génération future se renseignera sur les beautés passées par des photos et écrits et il lui restera le privilège de verser de chaudes larmes sur le cimetière des beautés d'autrefois. Doit-on se résigner à voir ainsi disparaître sous le béton et le bitume les éléments de la faune et de la flore qui font des Alpes-Maritimes le département le plus riche et le plus diversifié de France.

Conclusion


Les premiers résultats de nos investigations confirment la disparition de nombreuses stations de Zerynthia polyxena dans le département des Alpes-Maritimes. Sur un total de 55 stations connues, nous confirmons l'extinction de la "Diane" dans 13 d'entre-elles, et sa subsistance, au moins au début des années 80, dans 27 d'entre elles. Quant aux 15 stations restantes, nous n'avons aucune information qui puisse nous permettre de confirmer sa présence depuis 1980. Comme elles n'ont pas encore été trop endommagées, l'espèce devrait y subsister mais il faut le vérifier pour les stations de Plaine-du-Loup, Villeneuve-Loubet "la vacherie", Saint-Isidore et Pont-de-la-Manda.
A l'heure actuelle




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