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Enquête Cigales

Vous pouvez continuer à transmettre vos observations en ligne, l'enquête n'est pas "bouclée" comme certains d'entre pouvaient le penser. On travaille sur la synthèse nationale, mais nous avons beaucoup de retard et la parution n'interviendra, au mieux, qu'au printemps 2018. Onem France



Signaux acoustiques dans le comportement nuptial des cigales

(titre original : Acoustic signals in cicada courtship behaviour)


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Par Jérôme Sueur (EPHE) et Thierry Aubin (NAMC-CNRS), 2004. In Journal of Zoology, 262: 217-224.

Traduction assurée par John Walsh (les Ecologistes de l'Euzière)

Résumé
Pendant la formation des couples, cigales produisent des signaux acoustiques qui permet les partenaires sexués de se rencontrer. Le mâle est généralement celui qui émet, en produisant des sons d'appel à longue portée et des sons de séduction à portée plus réduite : le récepteur est généralement la femelle. Le comportement nuptial mâle - femelle de sept taxons appartenant au genre Tibicina est décrit ici pour la première fois. Les chants nuptiaux des mâles consistent d'une succession de groupes de pulsions arrangées en 2 sous-groupes. Ils sont d'une durée brève avec des fortes variations d'amplitude. Dans tous les taxons, toutes les chants nuptiaux ont été précédés par une série d'un à cinq battements d'aile audibles. Les différences de structure des chants nuptiaux entre deux paires d'espèces sympatriques, respectivement T. corsica corsica / T. nigronervosa et T. corsica fairmairei / T. tomentosa, suggère que les signaux nuptiaux peuvent agir comme des systèmes distinctifs de reconnaissance par espèce. En réponse aux signaux acoustiques des mâles, les femelles de T.c. corsica, T.c. fairmairei et T. nigronervosa ont produit des battements audibles des ailes tels que les deux sexes ont établi une échange acoustique à deux, terminant par du contact physique. En plus, mâles et femelles de T. tomentosa, ont produit des mouvements d'ailes silencieux, un comportement non-décrit auparavant, qui pourrait faciliter la diffusion des phéromones. Les femelles n'ont pas montré de séquence temporelle spécifique de leur espèce en réponse acoustique aux chansons nuptiales des mâles et le comportement des battements d'aile des femelles ne semble pas nécessaire pour la formation des couples. Néanmoins, cette stratégie à travers des signaux des mâles et des femelles assurait une approche phonotactile réciproque qui créait probablement plus de chances de rencontre dans les habitats complexes.

Mots clés
communication sonore, séduction, duo mâle-femelle, battements d'aile audibles et silents, cigales Tibicina.

Introduction
Beaucoup d'espèces d'insectes utilisent la communication sonore pour la formation des couples, le mâle étant le plus souvent l'émetteur et la femelle le récepteur (Ewing, 1989 ; Bailey, 1991 ; Greenfield, 2002). Il existe deux grandes catégories de signaux acoustiques nuptiaux chez les insectes : les chants d'appel et les chants de séduction (Alexander, 1967, 1968). Les chants d'appel sont employés afin d'attirer les femelles à travers les distances longues et constituent la première étape dans la formation des couples. Les chants de séduction suivent les chants d'appel dans le temps. Ils sont émis à courte distance, attirant les femelles réceptives avant l'accouplement et ils semblent être nécessaires pour le succès d'accouplement. Il semble que les chants d'appel informent sur l'identité de l'espèce et permettent orientation, tandis que les chants de séduction servent au choix des femelles (Fitzpatrick et Gray, 2001).
Chez les cigales (ordre des Hémiptères, famille des Cicadoidea), les chants d'appel et de séduction sont produits par un système particulier, le cymbale. Les chants d'appel, émis par toutes les espèces, sont souvent puissants et répétés sur des longues périodes de temps. Ils sont relativement faciles à enregistrer et, pour cette raison, ont été largement étudiés (pour une synthèse, voir Sueur, 2001). A l'opposé des chants d'appel, les chants de séduction ne semblent pas être émis par toutes les espèces et sont assez difficiles à observer en conditions naturelles. Il est difficile de provoquer artificiellement leur émission en captivité. Donc, malgré leur importance dans le comportement sexuel, il existe peu d'information sur les chants de séduction des cigales. Par exemple, les chants de séduction des mâles n'ont été décrits que pour neuf espèces de la sous-région paléoarctique occidentale (Fonseca, 1991 ; Puissant, 2001). Dans cette région, les espèces du genre paléoarctique Tibicina produisent des chants d'appel soutenus d'une duration entre plusieurs secondes jusqu'à plus de 10 minutes. La structure et la fonction de ces signaux ont été étudiée en détail (Sueur et Aubin, 2002, 2003a, b ; Sueur et Puissant, 2003 ; Sueur et Samborn, 2003 ; Sueur, Puissant et Pillet, 2003) tandis que, et à cause de leur rareté, les signuax de séduction des Tibicina n'ont été analysé que pour deux espèces (Fonseca, 1991 ; T. garricola sous le nom de T. quadrisignata ; Boulard, 1995 ; T. haematodes et T. garricola). Mais les chants d'appel des Tibicina montre une telle ressemblance de structure que certains soutiennent ces chants ne peuvent fonctionner comme des systèmes de reconnaissance spécifique aux partenaires (Sueur et Aubin, 2003b). De l'autre côté, il a été reconnu que les paramètres de répartition et écologie pouvaient être déterminants dans l'isolation des espèces (Sueur et Puissant, 2002). Alors quid de la structure et la fonction du signal nuptial de Tibicina ? Ces signaux peuvent-ils jouer un rôle dans l'isolation des espèces ? Comment les femelles peuvent-elles signaler leur présence ou leur réceptivité à un partenaire ?
A travers nos travaux de terrain de longue durée en France, le comportement nuptial de sept taxons de Tibicina on été observé et enregistré. Ces observations orignales ont été marquées par l'enregistrement des chants nuptiaux des mâles, précedés par des battements d'aile des mâles et par la découverte d'une réponse sonore des femelles pour certaines espèces, conduisant à un remarquable comportement nuptial acoustique bi-directionnel.

Méthodes

Sujets et localité
Le comportement nuptial a été étudié pour sept taxons de Tibicina à la suite de T. haematodes (Scopoli, 1763) ; T. tomentosa (Olivier, 1790) ; T. corsica (Rambur, 1840) sous-espèces T. corsica corsica (Rambur, 1840) et T. corsica fairmairei (Boulard, 1984) ; T. quadrisignata (Hagen, 1855) ; T. nigronervosa (Fieber, 1872) et T. garricola (Boulard, 1983). Les noms des taxons comportent les modifications récentes de la taxonomie de Tibicina (Boulard, 2000 ; Sueur et Puissant, 2003). Tous les observations et enregistrements ont été accomplis en conditions naturelles en France pendant les mois de juin et juillet 1999-2001, sauf pour le couple "que51" enregistré en captivité en juillet 1995 par Jacques Coffin (tableau 1).

La procédure d'enregistrement
Les enregistrements ont été réalisés avec un microphone Telinga Pro4
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Pip (réponse fréquence 40-18 000 Hz ± 1dB) connecté à une enregistreuses audio numérique (fréquence d'échantillon 44.1 kHz, réponse fréquence égale dans la portée 20-20 000 Hz). Les enregistrements ont été pratiqués entre 11h00 et 18h00, la période d'activité maximale des Tibicina espèces. La temérature ambiante s'est située entre 25 et 35°C avec une moyenne de 29,4°C.

Analyse des signaux
Les signaux de la sortie analogue de l'enregistreur DAT ony été numérisés à un taux d'échantillon de 32kHz et puis analysés pour les informations temporales et de fréquence avec AVISOFT Lab Pro 4,2 software (Specht, 2002).
Au niveau temporel, ont été mesurés ; la durée d’appel (CD : call duration), le temps silent d’entre-appels (ICD : silent inter-call duration), la durée du passage de basse amplitude (LPD : low amplitude part duration), la durée du passage de haute amplitude (HPD : high amplitude part duration) et le nombre de groupes de pulsations par seconde (NGP : number of groupsof pulses per second). Le nombre de variations d’amplitude (NAV : number of amplitude variations) a été pris en compte. Egalement, mesures ont été pris pour mâles et femelles, de la présence ou de l’absence des battements d’aile audibles, c’est-à-dire des mouvements rapides d’aile qui ont produit des crissements audibles, ainsi que la présence ou l’absence des battements d’aile silencieux, c’est-à-dire des mouvements lents d’aile sans bruit audible.
Au niveau de la fréquence, ont été analysés : la fréquence de portée du passage de basse amplitude (LPF : low amplitude part) et le passage de l’amplitude haute (HPF : high amplitude part), sur un spectre moyen d’un appel choisi au hasard dans la séquence nuptiale. Les spectres ont été traités numériquement avec un FTP (transformation rapide de Fourier), avec une taille d’ouverture de 512 points Hamming (f = 62,5 Hz) et un recouvrement de 50% à une vitesse d’échantillon de 32 kHz.

Tableau 1. List des couples nuptiaux de Tibicina spp. observés, avec lieu d’observation, la date, la température ambiante et la plante hôte.

  • Couples Lieu Date Temp. ambiante (°C) Plante hôte
  • T.c. corsica (couple 1) San Vincenso, Occhiatana (2a) 09-06-2000 32 graminée indéterminée
  • T.c. corsica (couple 2) San Vincenso, Occhiatana (2a) 09-06-2000 32 Cistus sp.
  • T. c. fairmairei (couple 1) Vendres (34) 15-07-1999 31 Atriples halimus L.
  • T. c. fairmairei (couple 2) Vendres (34) 20-07-1999 30 Rubus ulmifolius Schott
  • T. garricola (couple 1) Domazan (30) 04-07-2000 35 Vitis vinifera L.
  • T. haematodes (couple 1) Cairanne (84) 28-06-1999 25 Vitis vinifera L.
  • T. haematodes (couple 2) Cairanne (84) 11-07-2001 29 Vitis vinifera L.
  • T. haematodes (couple 3) Cairanne (84) 11-07-2001 29 Vitis vinifera L.
  • T. negronervosa (couple 1) St-Petro-di-Tenda (2a) 13-06-2000 28 Arbutus unedo L.
  • T. negronervosa (couple 2) St-Petro-di-Tenda (2a) 14-06-2000 26 Arbutus unedo L.
  • T. quadrisignata (couple 1) Notre-Dame-des-Anges (83) 21-07-1999 32 Arbutus unedo L.
  • T. quadrisignata (couple 2) Molitg-les-Bains (66) 03-07-2000 25 Quercus sp.
  • T. quadrisignata (couple 3) Campoussy (66) 18-07-2000 25 Pinus sp.
  • T. tomentosa (couple 1) Plan-de-la-Tour (83) 29-06-1999 28 Ombellifère indéterminée
  • T. tomentosa (couple 2) Vendres (34) 29-06-2000 32 Juncus maritimus Lam.
  • T. tomentosa (couple 3) Lespignan (34) 30-06-2000 31 Foeniculum vulgare Mill


    Fig. 1 Deux chants nuptiaux successifs de T. haematodes : oscillogrames à taux d’agrandissement différents avec indications de mesure de temps ; la durée d’appel (CD), la durée d’entre-appels (ICD), la durée du séquence à basse amplitude (LPD), le nombre de variations d’amplitude (NAV). NAV = 1.

    Résultats

    La séquence nuptiale
    Le comportement nuptial des taxons de Tibicina a suivi la même trame générale. Les chants des mâles stationnaires ont basculé de la production des chants d’appel vers la production des chants de séduction à l’approche d’une femelle aux environs d’un mètre. Les chants de séduction se caractérisaient par une durée courte (CD <10 s) et par des fortes variations d’amplitude (NAV). Ces variations ont été corrélées avec dees oscillations verticales de l’abdomen, au repos pendant les séquences à basse amplitude du chant de séduction et redressé verticalement pendant la séquence à haute amplitude. Pendant la production du chant de séduction, les ailes n’étaient pas écartées du corps comme c’était le cas pendant la production des chants d’appel. Une série de battements d’aile audibles précédait chaque séquence de chant de séduction. Chez T. tomentosa, des battements d’aile audibles ont été produits pendant le chant de séduction. Chez T. c. corsica, T. c. fairmairei, et T. nigronervosa, la femelle produisait de battements d’aile audibles entre le chant de séduction des mâles, et entre mâle et femelle s’établissait un duo acoustique. Chez T. tomentosa, les mâles et les femelles produisaient des battements d’aile silencieux. Pendant ces interactions, la femelle s’approchait du mâle par des vols courts ou en marchant sur les rameaux. Arrivés à une distance proche (< 30 cm), les deux sexes cherchait l’une et l’autre, le mâle devenant mobile. Les mâles et femelles qui avaient produit des battements d’aile audibles échangeaient des signaux acoustiques jusqu’au contact physique. Au contact, le mâle saisissait la femelle de côté avec ses pattes de devant et celles du milieu ; l’accouplement qui suivait durait de 20–30 min.

    Observations additionnelles

    Deux mâles de T. c. corsica, ont été observé produisant des chatns de séduction sans la présence évidente d’une femelle. Deux autres mâles de la même espèce ont produit des chants de séduction et ont essayé de s’accoupler avec une femelle morte de T. nigronervosa, attachée à l’extrémité d’un bâton de 50 cm qui a été rapproché lentement vers le mâle. Des chants de séduction d’un mâle de T. c. farimairei ont été provoqués par des crissements artificiels produites par l’observateur. Deux mâles de T. nigronervosa ont produit des chants de séduction quand l’observateur a lentement étendu sa pouce, que les deux mâles ont chacun essayé d’attraper.

    La structure du chant de séduction des mâles
    L’oscillogramme et le spectrogramme d’exemples de chant de séduction sont présentés pour chaque espèce au Fig. 2. Les paramètres de temps et de la fréquence des chants de séduction des mâles sont illustrés au Tableau 2.
    Les chants de séduction des Tibicina montre un pattern général : une succession de groupes de pulsations arrangée en deux sous-groupes. Deux catégories de modulation d’amplitude été décelables : une modulation lente d’amplitude repartie entre groupes de pulsations et une modulation rapide d’amplitude au niveau de chaque pulsation (fig. 1).
    Au niveau de la fréquence, le spectre moyen des signaux de toutes les espèces s’est caractérisé par 3 sommets majeurs. Ces sommets de fréquence étaient des produits annexes de la modulation rapide d’amplitude détectée dans les pulsations. Le premier et le troisième des sommets de fréquence correspondaient aux deux bandes latérales, le deuxième sommet de fréquence correspondait à la fréquence de portée (LPF ou HPF), montré par le Fig 3 pour le chant de séduction de T. tomentosa. Concernant le chant de séduction des mâles, il n’existe pas de différences des valeurs de fréquence entre le passage de basse amplitude et celui de haute amplitude. En conséquence, on peut dire que le chant de séduction ne présentait pas de modulation de fréquence.
    Le chant de séduction de T. tomentosa diffère de celui de toutes les autres espèces par sa durée longue (CD) et le grand nombre de variations d’amplitude (NAV) produits en concomitance avec des battements d’aile audibles. Malheureusement, le nombre de spécimens enregistrés par taxon (tableau 1) est insuffisant pour faire une comparaison statistique précise entre les différents paramètres du chant de séduction des espèces étudiées.

    Les battements d’aile audibles et silencieux
    L’occurrence des battements d’aile audibles ou silencieux produits par mâles et femelles pendant les interactions nuptiales sont synthétisés en tableau3. La structure sonore des battements d’aile est une séquence très courte de pulsations d’une durée de c. 1ms, avec une bande de fréquence large, indifférenciable entre espèces et entre sexes. Les battements d’aile audibles ont été produites avant activation cymbalaire à l’exception de T. tomentosa. Pour ces espèces, les battements d’aile audibles ont été émises avant et pendant l’activation cymbalaire, le rythme des battements d’aile audibles suivant plus ou moins le rythme de variation d’amplitude du chant. Les battements d’aile audibles ont été produits par les femelles de T. c. corsica, T. c. fairmairei, et T. nigronervosa entre deux chants de séduction successifs des mâles. Il n’a pas été détecté de temps régulier de réponse entre la fin du chant mâle de séduction et les battements d’aile et, par conséquent, il n’a pas été détecté de rythme particulier pour la production de chant de séduction / production de battements d’aile. Les battements d’aile silencieux ont été notés uniquement pour la cour de T. tomentosa.

    Discussion
    Notre étude du comportement nuptiale des taxons des cigales Tibicina a mis à jour un système acoustique plus élaboré que celui qui est courant parmi les cigales. Le comportement de cour chez les Tibicina est caractérisé par deux aspects majeurs : (1) les mâles produisent de chants brefs avec de grandes variations d’amplitude, précédés par des battements d’aile audibles ou silencieux : (2) les femelles des certaines espèces sont capable d’émettre des signaux par des battements d’aile audibles ou silencieux. L’alternance des signaux des mâles et des femelles ont donné lieu à une alternance de rôles d’émetteur / récepteur, peu fréquent chez les cigales.

    Le comportement de séduction des mâles
    Une fois qu’une femelle Tibicina arrive à proximité d’un mâle appelant, ce dernier change du chant d’appel au chant de séduction. Les chants de séduction diffère des chants d’appel par leur durée courte, leur grande variabilité d’amplitude et couramment par une suite de battements d’aile audibles. La structure fine des chants de séduction est similaire à celle des chants d’appel (Sueur et Albin, 2003b) : les deux structures consistent d’une succession régulière de groupes de pulsations, produisant trois bandes de fréquence. Cette similitude de structure fine est probablement le résultat d’une activation identique du mécanisme cymbalaire (pour une description du mécanisme cymbalaire, voir Sueur et Albin, 2002, 2003b). Des petites différences de nombre des groupes de pulsations par seconde et de la fréquence de portée ont été décrites par Sueur et Albin (2003b). Malgré le manque d’analyse statistique, les différences similaires apparaissent aussi entre les chants de séduction. Ces différences étant petites, nous supposons que les fines paramètres temporels et de fréquence des chants de séduction n’ont pas de rôle important pour l’identification spécifique des espèces et, par conséquent, pour l’isolation des espèces entre les taxons de Tibicina. Un autre paramètre qui pourrait agir potentiellement comme marqueur acoustique d’espèce serait le nombre de variations d’amplitude (NAV), coincidant avec le redressage de l’abdomen, comme il a été observé et analysé chez une espèce de cigale australienne (Young, 1990). Les sympatriques T. c. corsica, et T. nigronervosa diffèrent sur ce pattern d’amplitude, le premier produisant un maximum de deux variations d’amplitude et le second produisant systématiquement plus de deux variations d’amplitude. Pareillement, T. c. fairmairei et T. tomentosa ont été trouvés parfois sur le même site, mais ces deux espèces produisent des chants de séduction qui diffèrent beaucoup sur le nombre de variations d’amplitude. T. tomentosa produit aussi des battements d’aile audibles avant et pendant le chant, alors que T. c. fairmairei émet ces signaux seulement avant le chant cymbalaire de séduction. Dans ces cas, tels comportements acoustiques pourraient agir comme systèmes de reconnaissance de partenaires distincts aux espèces, mais ce phénomène mérite d’être testé à travers des expériments de ré-écoute.
    Autre phénomène remarquable du comportement est le battement d’aile audible de la part des mâles. Le mécanisme de production des tels sons parmi les cigales est sujet à débat (Popov, 1981 ; Boulard, 1992). Chez les Tibicina, Boulard (1995) a prouvé que les ailes ne touchent pas le substrate (plant) et ainsi que le son ne provient pas d’une percussion sur substrate. Ainsi, chez les Tibicina, nous proposons que les sons pourraient être produits en déformant des parties bi-stables et mécaniquement raides des ailes, comme d’autres ont proposé chez les papillons (Yak et al., 2000) et récemment pour d’autres espèces de cigales (Gogala et Trilar, 2003).
    Notre étude raconte pour la première fois l’existence de battements d’aile silencieux parmi les mâles chez l’espèce T. tomentosa. La communication par phéromones n’a jamais été clairement montré pour les cigales, mais elle est commune parmi d’autres Hémiptères (Aldrich, 1996). Un tel comportement remarquable pourrait être lié à la dispersion d’un signal chimique, et aussi à la production d’un signal vibratoire ou visuel. Ainsi, la communication nuptiale des Tibicina pourrait être multi-modale, un système qui améliore l’efficacité de la communication.

    Tableau 2. Les paramètres de temps et de la fréquence dans les chants nuptiaux de Tibicina : duréé d’appel (CD), durée d’entre-appel (ICD), durée de la partie de basse amplitude (LPD), durée de la partie de haute amplitude (HPD), nombre de variations d’amplitude (NAV), nombre de groupes de pulsations par seconde (NGP), fréquence de la partie de basse amplitude (LPF), fréquence de la partie de haute amplitude (HPF). Quand cela est possible, les valeurs sont données en tant que moyenne x ± SD (taille d’échantillon).

    • Individu CDs ICDs LPD(s) HPD(s) NAV NGP LPF(Hz) HPF(Hz)
    • T. c.corsica (couple 1) 1,99±1,15 (61) 4,29±2,19(61) 1,25±0,25(63) 0,68±1,16(63) 1,03±0,18(61) 60 9812 10000
    • T. c.corsica (couple 2) 2,43±2,72(155) 9,87±15,60(155) 1,20±0,236(156) 1,20±2,84(156) 1,00±0,08(155) 59 9750 9812
    • T. c. fairmairei (couple 1) 5,49±16,48(122) 5,79±4,93(122) 0,79±0,44(194) 2,66±13,20(194) 1,55±0,73(122) 61 10062 10187
    • T. c. fairmairei (couple 2) 2,80±6,55(185) 3,33±2,57(185) 1,19±0,42(191) 1,51±6,49(191) 1,03±0,19(185) 61 10062 10000
    • T. garricola (couple 1) 3,40±2,30(27) 5,39±4,18(25) 1,21±0,53(25) 2,23±2,12(25) 0,94±0,27(27) 68 8625 8625
    • T. haematodes (couple 1) 0,33±0,40(113) 0,70±0,79(113) 0,22±0,18(70) 0,14±0,07(70) 0,62±0,49(122) 98 7375 7500
    • T. haematodes (couple 2) 0,47±1,23(113) 1,11±2,34(113) 0,09±0,58(207) 0,34±0,97(207) 0,95±0,75(113) 98 7187 7187
    • T. haematodes (couple 3) 0,91±5,60(367) 0,60±0,76(367) 0,19±0,12(320) 0,30±0,42(320) 0,87±0,82(367) 98 7500 7500
    • T . nigronervosa (couple 1) 2,90±0,43(7) - 0,63±0,21(18) 0,43±0,06(18) 2,57±0,53(7) 105 9812 9687
    • T . nigronervosa (couple 2) 3,52±1,48(39) 5,47±4,02(39) 0,77±0,45(107) 0,51±0,15(107) 2,74±1,39(39) 106 9812 9812
    • T. quadrasignata (couple 1) 0,61±0,28(68) 1,39±2,86(65) 0,43±0,27(65) 0,19±0,03(65) 1,00±0(65) 78 8312 8312
    • T. quadrasignata (couple 2) 0,57±0,40(120) 0,67±1,65(120) 0,31±0,35(128) 0,23±0,10(127) 1,05±0,29(120) 76 8562 8750
    • T. quadrasignata (couple 3) 0,80±0,33(42) 0,33±0,16(42) 0,45±0,22(45) 0,27±0,09(45) 1,07±0,34(342) 74 8687 8687
    • T. tomentosa (couple 1) 7,59±4,79(8) 528±2,43(8) 0,27±0,36(103) 0,32±1,36(101) 12,63±4,17(8) 164 8500 8500
    • T. tomentosa (couple 2) 3,83±1,57(3) 4,93±1,62(3) 0,34±0,44(20) 0,24±0,12(20) 6,67±3,51(3) 160 8812 8812
    • T. tomentosa (couple 3) 10,43±15,21(23) 74,55±120,70(23) 0,31±0,47(281) 0,89±7,26(274) 12,35±3,70(23) 154 8562 8562


      Tableau 3. Les battements d’aile audibles pendant interactions nuptiales. " Audible " se réfère à des battements d’aile rapides produisant des clicks audibles. Silencieux " se réfère à des battements d’aile lents et silents. (+) observé, (-) jamais observé, (?) peu d’observations.

      • Mâle Femelle
      • T. c. corsica + - + -
      • T. c. fairmairei + - + -
      • T. garricola + - ? -
      • T. haematodes + - - -
      • T. nigronervosa + - + -
      • T. quadrisignata + - ? -
      • T. tomentosa + + - +


        Le comportement de séduction des femelles
        Nos observations montrent pour la première fois une trame de comportement des femelles en réponse aux chants de séduction des mâles : la production des battements d’aile audibles, observé chez T. c. corsica, T. c. fairmairei, et T. nigronervosa, et des battements d’aile inaudibles chez T. tomentosa. Par contraste, ce comportement semble être absent pour T. garricola et T. quadrisignata, mais les observations étaient insuffisantes en nombre (une seule observation pour T. garricola et seulement deux observations en conditions médiocres pour T. quadrisignata) pour conclure avec certitude à l’absence d’un tel comportement pour ces deux espèces. Selon nos observations nombreuses du comportement nuptial de T. haematodes, il semble clairement établi que les femelles de cette espèce ne produisent pas de battements d’aile.
        Le mécanisme des battements d’aile chez les femelles est encore inconnu, mais il est probablement analogue à celui des mâles. Les battements d’aile audibles ou silencieux des femelles pourraient être liés à une diffusion chimique comme cela a été noté pour les battements d’aile audibles de l’espèce australienne Cystosoma saundersii (Doolan, 1981 ; Doolan et Young, 1989 ; D. Young. pers. comm.). Les battements d’aile audibles des femelles a été observé déjà chez d’autres espèces de cigales, mais à notre conaissance, celle-ci est la première fois que les battements d’aile inaudibles a été noté chez les cigales. Comme pour les battements d’aile inaudibles des mâles, les battements d’aile inaudibles ont été observés seulement chez T. tomentosa. Un tel comportement pourrait aussi faciliter la diffusion des phéromones.
        Les différences de comportement nuptiale des femelles de plusieurs espèces de Tibicina n’ont pas été identifié. En particulier, les battements d’aile audibles paraissaient similaires, et ainsi, il est très improbable qu’ils portent quelconque information spécifique aux espèces. Les signaux nuptiaux des femelles ne semblent pas nécessaires pour la formation des couples. Nos observations complémentaires suggèrent que les mâles ne soient pas sélectifs. En particulier, les males de T. nigronervosa ont essayé d’accoupler avec tout ce qui les approché lentement, et les mâles de T. c. fairmairei ont émit des chants de séduction en l’absence des femelles. Cette non-spécificité des signaux des femelles et cette non-selectivité des mâles accordent avec la théorie de sélection sexuée et le comportement assymétrique d’investissement parentale (Trivers, 1972 ; Alexander, Marshall et Cooley, 1997). En effet, les signaux acoustiques sexués sont en majorité moins différenciés chez les femelles que chez les mâles, et la capacité de différencier entre les partenaires potentiels est moins développé chez les mâles que chez les femelles (Booij, 1982).

        Duo acoustique mâle-femelle
        Les duos acoustiques mâle-femelle ont été décrits précédemment pour un grand nombre d’insectes, incluant Coléoptères (par ex. Goulson, Birch et Wyat, 1994), Plécoptères (par ex. Stewart, 1997), Neuroptères (par ex. Welles et Henry, 1992), Mégaloptères (par ex. Ruprecht, 1975), Orthoptères (par ex. Spooner, 1968) et Hémiptères autres que cigales (Claridge et Vrijer, 1994). Cette alternance dans la production des signaux à déjà été décrit pour les cigales suivantes : Cicadetta quadricincta (Gwynne, 1987), Kikihia et Amphisalta (Lane, 1995), espèces de Magicicada (Cooley et Marshall, 2001), Okanagana canadensis et O. rimosa (Cooley, 2001). Pour toutes ces espèces, les duo acoustiques ne surviennent qu’à une portée restreinte. Les mâles de C. quadricincta engage un comportement de " appel-mouche " pendant que les mâles d’autres espèces, Tibicina incluses, sont des chanteurs stationnaires. Les femelles des espèces Cicadetta quadricincta, Kikihia, Amphisalta et Magicicada montrent une structure temporale spécifique à l’espèce en relation à l’appel nuptial des mâles. Un tel délai spécifique de la réponse femelle pourrait constituer un code d’information spécifique à l’espèce, comme il a été déjà observé chez les criquets de brousse (Robinson, 1990). Néanmoins, chez les Okanagana – un genre de proche parenté avec les Tibicina, montrant des similitudes remarquables de morphologie, écologie et comportement – la réponse femelle ne paraît pas avoir une relation spécifique aux chants nuptiaux des mâles (Cooley, 2001). Comme il a été évoqué en premier par l’hypothèse de Cooley (2001), une telle manque de spécificité ne signifie pas que las battements d’aile audibles des femelles n’agiront pas comme un signal sexué. Ils peuvent (1) alerter le mâle à la présence d’une femelle, (2) stimuler le mâle à produire des chants de séduction, (3à tester la qualité des mâles à travers l’émission des chants de séduction et (4) susciter un comportement de recherche chez le mâle.
        Le micro-habitat où se produit le comportement nuptial des Tibicina peut être complèxe (Sueur et Puissant, 2002). Les troncs en travers, les rameaux et les feuilles d’arbres et arbustes constituent un environnement où l’orientation peut être difficile, réduisant l’efficacité de communication. Ni impliquée dans la procédure de reconnaissance spécifique à l’espèce ni nécessaire pour la formation des couples, une stratégie bi-directionnelle par signalement des mâles et femelles assure une approche phono-tactile, améliorant probablement les chances d’une rencontre dans des conditions difficiles du milieu naturel.

        • Remerciements
        Cet article est dédicacé au regretté Jacques Coffin qui nous a aidé à travers nos investigations et qui a partagé ses propres observations du comportement nuptial des Tibicina. Nous remercions chaleureusement Stéphane Puissant, Nadine Fille, Pierre Teocchi, Laetitia Teocchi, Dominique Cerqueira et Robert Germain pour leur aide pendant nos visites dans le Sud de la France. Nous sommes également reconnaissants envers Mike F. Claridge et Glen K. Morris pour commentaires et améliorations en anglais. Cette étude a été menée partiellement chez l’Harmas de Jean-Henri Fabre (Muséum national d’Histoire naturelle, France).


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